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Les balles tapent, rebondissement et ricochent sur les courts du tennis du chemin du Vallon-des-Vaux, à Cagnes-sur-Mer, ce dimanche 7 mai. Dorian Navarro observe, analyse. Le champion, numéro un français de padel, mesure l’adversaire. Mains rivées sur les roues de son fauteuil, muscles tendus, il ne rate aucun coup et se prépare à entrer dans l’Acacias Open. Il veut gagner. Comme il l’a toujours fait depuis sa vie d’avant.
Sa vie d’avant s’est brisée le 16 juillet 2017. Ce matin-là, ce pompier volontaire cagnois de 19 ans campait dans un coin paumé, entre le Gard et la Lozère, un bout de vert où il passait ses vacances d’enfance.
Il était tôt, le jour n’était presque pas levé. 6 heures ou un peu moins, peu importe.
Pour le réveiller, ses potes ont lancé un "jeu à la con": tirer sa tente avec une voiture dans le pré.
40km/ heure, un pin sur le chemin, le choc. Puis, un lit d’hôpital, murs blancs, trou noir, vertèbres fracassées et morphine en perf’ pour étouffer la douleur.
"La sentence était irrévocable"
"L’interne nous a dit, comme ça, que Dorian ne marcherait plus jamais, qu’il était paraplégique. Sa mère a poussé un cri de bête comme si elle était poignardée", se souvient Fabian, le beau-père de Dorian.
Il est, lui aussi, pompier dans les Alpes-Maritimes. Des drames, il en a vus; celui-ci est le sien, intime. Et la colère est toujours là.
Il y a eu un procès l’année dernière. Dorian hausse les épaules: "Pas de prison ferme, un peu de sursis, rien, ils ont rien pris…"
Lui a pris perpète. Toute sa première vie est morte dans ce pré. Condamné à rester assis dans un fauteuil. Mais il a choisi de rester debout.
"La sentence était irrévocable. J’ai fait neuf mois de rééducation dans un centre à Nîmes. Il fallait tout réapprendre. Apprendre un nouveau corps qui n’est pas forcément votre ami. J’avais le choix entre me morfondre ou avancer", sourit-il.
Alors il a avancé, "même si le chemin de la résilience n’est pas un algorithme: il y a des hauts, des bas…" Doucement, il reprend le sport. Le tir à l’arc, le ping-pong.
"C’était le jour de mes 20 ans"
En mars 2018, il rentre chez lui. "C’était le jour de mes 20 ans". La vie devant soi malgré le drame. Il commence le tennis fauteuil à l’US Cagnes.
Là, il fait de jolies rencontres. Décisives. Celle d’Ahmed Jeddi, triple champion de France individuel et numéro 1 du Maroc. L’homme est plus âgé. Lui non plus ne marche pas. Il porte, comme Dorian, une douleur que seuls peuvent comprendre ceux qui la vivent. " C’est un de mes mentors. Il m’a mis le pied à l’étrier", raconte Dorian. L’expression les fait éclater de rire. "J’ai vu arriver ce petit jeune. On l’a motivé. Après, il a fait son petit bonhomme de chemin. Il a une âme de compétiteur", témoigne Ahmed.
Une âme forte. Puissante. Un mental d’acier et une incroyable force de résilience. Dorian fait de la compétition, " atteint la place de 10e français, 83e mondial, 69e en double".
Il se bat. Balle après balle. Coup après coup. Et découvre le padel. "Fin 2021, on m’invite à faire le quatrième joueur à Nice".
Une fois, deux fois. Rebonds. Coup de foudre.
"En septembre 2022, je stoppe ma carrière de tennis et je me consacre exclusivement au padel. Je remporte les Masters français avec mon partenaire", retrace Dorian.
Pour la saison 2023, sur quatre tournois français, il a fait " quatre trois victoires et une finale".
Il est aujourd’hui numéro un français de la discipline. Et défend son titre. Comme il a défendu sa vie: "Je ne sais pas s’il est possible d’accepter le drame à 100% mais je refuse de vivre à 50%", sourit le sportif.