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D’épais cyprès de 20 m de haut sur 150 m de long. À La Crau, lieu-dit des Martins, c’est dans l’un de ces alignements verts qui jalonnent nos routes sans qu’on n’y prête attention que pourrait peut-être se jouer un peu de l’avenir de la préservation des arbres. C’est en tout cas le combat judiciaire qu’ont décidé de mener Karine et Olivier Panchaud, propriétaires du terrain sur lequel cette haie est installée. Et ils le font en connaissance de cause.
"Mon mari et moi sommes spécialisés dans l’étude du vivant. Derrière cette haie de cyprès, il y a notre centre de recherche et d'expérimentation sur le végétal. J’y ai, par exemple, développé une solution bio pour lutter contre le charançon ravageur de palmiers, utilisée à Nice", explique Karine Panchaud, experte arboricole et biologiste. Alors quand le couple entend, début 2021, des tronçonneuses au travail le long de la route qui longe leur propriété, impossible de ne rien faire.
Aider la nature à reprendre ses droits
"Ce jour-là, le prestataire à l'œuvre nous explique qu’il doit buser le fossé dans le cadre de l’aménagement d’une piste cyclable par le Conseil départemental. Mais il n’y avait pas eu de présentation publique du projet avant que les travaux ne démarrent. Le problème, c’est que les ouvriers ont ce jour-là atrocement mutilé la haie, en pleine période de nidification", détaille cette spécialiste du vivant, qui a recensé ici la présence de 11 espèces animales à protéger.
Faucon, chardonneret élégant, verdier d’Europe, chauve-souris, hibou petit duc mais aussi lézard ocellé, couleuvre ou encore tortue d’Hermann y ont leurs habitudes. "C’est très vivant! D’autant que, quand nous avons repris le terrain, occupé précédemment par des vignes, nous nous sommes appliqués à lancer un travail d'aménagement végétal pour observer comment les animaux et les insectes peuvent reprendre leur droit", ajoute la cofondatrice du centre d’étude Vegetech, dont les expérimentations in situ doivent servir de base de travail aux collectivités et parcs botaniques avec lesquels l’entreprise collabore (à Menton, Nice, Monaco ou encore en Italie).
Défendre des arbres en justice
Alors que les tronçonneuses débitent les branches basses des cyprès, Karine Panchaud appelle son avocat d’entreprise, puis un huissier pour faire constater les dégâts. Par l’intermédiaire de l'Association de défense des arbres, le couple se tourne vers une avocate spécialisée dans les thématiques environnementales. Un référé liberté est déposé devant le tribunal administratif de Toulon.
"Dans le code de l’environnement, il y a une législation qui encadre l’atteinte aux espèces protégées", explique maître Héloïse Aubret, avocate au barreau de Grasse. Dans l’affaire de la haie varoise, la juridiction toulonnaise n’accepte pourtant pas d’examiner le recours, invoquant que "la protection de l'environnement n’est pas une liberté fondamentale". De quoi faire tiquer Me Aubret, qui compte bien questionner le Conseil d’Etat sur ce sujet. Les époux Panchaud n’hésitent pas à poursuivre les démarches. Le "parcours du combattant" s’engage.
“Nos avocats nous ont expliqué que ça ne ferait pas avancer de manière directe notre dossier mais que ça pourrait être important à l’avenir d’avoir une jurisprudence. On a financé, très chèrement, cette procédure parce qu’on pouvait le faire et, philosophiquement, pour ne pas accepter sans rien dire qu’on mutile des arbres de cette qualité “, explicite Karine Panchaud, qui a grandi à la campagne et a toujours été “fondue de nature et de petites bêtes“.
Et le combat a porté ses fruits. "En septembre, le Conseil d’État a rendu un très bel arrêt qui a consacré la protection de l’environnement comme liberté fondamentale. Le biais, c’est de dire que l'arbre abrite des espèces protégées. Grâce à cette décision, on peut maintenant faire un référé liberté en invoquant cet arrêt du 20 septembre 2022", se félicite Me Héloïse Aubret. Dans la décision de cette institution publique, on peut ainsi lire noir sur banc:
"Le Conseil d’Etat juge que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère de liberté fondamentale (...)."
Changer le regard des gens sur les arbres
"C’est fondamental! D’un point de vue juridique, quand un particulier déposera un référé sur ce type de sujet à l’avenir, le tribunal administratif ne pourra plus se déclarer incompétent. Cela permettra à d’autres citoyens de défendre des arbres sans devoir engager les mêmes frais que nous en allant jusqu’au Conseil d’Etat", se réjouit Karine Panchaud, qui connaît toute l’importance que revêt le végétal. "On sait aujourd’hui que les arbres communiquent entre eux, se transmettent des champignons bénéfiques à leur survie… Dans ce contexte, c’est toujours malheureux d’en couper des matures pour les remplacer par des petits ou d’en abîmer alors que notre milieu est en pleine dégradation, du fait notamment des canicules et des sécheresses."
Pour l’heure, à La Crau, l’action en justice menée par les époux Panchaud a au moins l’avantage de figer la scène pour la haie en question. Quant à son devenir: "des procédures et des discussions sont en cours avec le Département. Cela se passe bien, on espère avancer sur ce dossier", conclut Karine Panchaud. Une démarche que ces passionnés de nature espèrent bien plus constructive que vindicative.