2048 liens privés
Ce 18 mars, c’est la Journée mondiale du recyclage. Mais derrière ce mot, quelles réalités pour nos déchets? De 2013 à 2020, Flore Berlingen a été directrice de l’association Zéro waste France qui promeut la réduction des déchets à la source. Autrice de plusieurs enquêtes sur le sujet, dont "Recyclage, le grand enfumage", elle alerte sur une économie circulaire trop souvent "alibi du jetable" et plaide pour des solutions plus durables.
Aurélie Selvi - aselvi@nicematin.fr Publié le 18/03/2023 à 08:30, mis à jour le 18/03/2023 à 08:39
Pourquoi on en parle?
Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, 29% des Français, et même 33% des plus de 55 ans, placent les déchets ménagers ou plastiques parmi les problèmes environnementaux "les plus préoccupants". Et nous en produisons beaucoup. En 2021, un Français jetait en moyenne 561 kg de déchets par an, selon Eurostat, l’organisme de statistique de l’Union européenne. Soit 31 kilos de plus que la moyenne européenne. Face à ces volumes importants, le recyclage est souvent présenté comme la solution providentielle. Une lecture qui "dissimule la réalité", met en garde Flore Berlingen, autrice de l’enquête Recyclage, le grand enfumage*. Elle livre son analyse:
"La réalité, c’est que nous sommes dans une surproduction du fait de l'omniprésence du jetable dans notre vie. Il y a les objets et emballages à usage unique mais aussi toute une partie de nos biens de consommation qui ne sont pas suffisamment durables: vêtements, mobilier, équipements électroménagers et électroniques... C’est du jetable élargi. Le recyclage est présenté comme une solution pour rendre tout ça soutenable et c'est là que réside l'illusion", analyse-t-elle.
La vérité sur les filières de recyclage
"Cela prend des années, voire des dizaines d'années, de mettre en place ces filières de recyclage. Il ne suffit pas que la technologie existe. Pour passer de recyclable à recycler, il faut cocher pas mal de cases. Il faut le geste de tri, un point de collecte, une logistique, un centre de tri, des technologies de recyclage à un stade mature, des usines pour prendre en charge les flux de matière. Il faut que celles-ci puissent être soutenables économiquement donc qu’il y a ait une demande de matière recyclée à des prix suffisamment élevés pour que ça rémunère correctement les acteurs de la chaîne. Bref, cela fait énormément de conditions à réunir pour que techniquement et économiquement et logistiquement ce soit possible. C'est pour ça que, très souvent, un objet ou un emballage qualifié de recyclable et n’est en fait pas recyclé."
"En France, le choix, par les producteurs ou conditionneurs, de matériaux non recyclables entraîne ainsi le gaspillage de 500.000 tonnes de matières plastiques chaque année, dont la seule destination possible est l’incinérateur ou la décharge".
Flore Berlingen
"Il y a eu une évolution car le recyclage a subi beaucoup de critiques, je n’ai pas été la seule à porter ce message. Depuis 2019-2020, il y a eu une multiplication des reportages, des enquêtes (Les Plastiqueurs, de Dorothée Moisan, Sur le front - La Face cachée du recyclage…). Cela a mis la pression sur les responsables des filières pour aller plus loin. Mais ce n’est pas suffisant."
Comment réduire l’utilisation du plastique?
"C’est d’abord du côté des fabricants et des producteurs qu’il faut agir. Ça ne suffira pas de sensibiliser le consommateur qui est exposé à une pression marketing et commerciale absolument écrasante! On le voit pour les produits suremballés de l’agroalimentaire mais aussi sur les vêtements avec la fast fashion. Comment enrayer la surconsommation si ces géants de la fast fashion continuent leur marketing. Ce qu’il faut, ce sont des leviers réglementaires, fiscaux, pour encadrer la production. Cela peut paraître radical mais je revendique le fait qu’on encadre plus la liberté d’entreprendre. Si elle se traduit par la mise sur le marché de produits absolument nocifs pour notre environnement, notre avenir, notre santé, cela n’a plus aucun sens.
Pour le consommateur, la première étape pour le faire, c’est de prendre conscience du côté hyper récent de tout ça et du fait que revenir à un niveau de consommation plus raisonnable, c'est pas revenir à l'âge des cavernes.
Les premières bouteilles en plastique apparaissent dans les années 1960. Les pots de yaourt en 1971. La bouteille d’eau petit format est apparue au début des années 1990, les gourdes de compote individuelles en 1998", Flore Berlingen, autrice de Recylage, le grand enfumage
"J’ai l’impression que cette réalité-là n’est pas vraiment perçue. On met souvent en cause les boomers et les Trente Glorieuses en disant que c’est à ce moment-là qu’on est passé dans l’air de la surconsommation. En vérité, ça s'est exacerbé depuis les années 90 et 2000."
La consigne des bouteilles en plastique, une bonne idée?
Le Ministère de la Transition écologique a lancé une concertation sur la mise en place éventuelle de la consigne de bouteilles en plastique. "Ce sujet-là me désespère un peu. On en est à se focaliser sur comment mettre la main sur ces fameuses bouteilles en plastique et quid du reste des déchets qui sont tout aussi polluants, qui ont moins de valeur économique? Et de la réduction du nombre de bouteilles en plastique qu’on utilise? La pertinence serait de parler de réemploi, et il n’y a pas que la consigne qui permet de se débarrasser des emballages! Le fait de réutiliser ses propres contenants, de plus facilement se faire servir dans sa bouteille réutilisable ou dans sa boîte est une solution qui est déjà à l'œuvre à certains endroits mais pour laquelle il n’y a pas d’incitation massive, même si c’est autorisé."
Contre le tout emballage, de multiples alternatives
Chaîne de lavage des bouteilles et bocaux, soutien au vrac, standardiser les emballages pour faciliter leur réemploi… De nombreuses alternatives existent ça et là. "C’est complètement des choses à faire avancer et certaines avancent. Il existe de nombreux projets dans le champ de la consigne clé en main avec lavage. Il faut viser une panoplie de solutions différentes et non pas une solution unique standardisée pour ne pas reproduire les logiques qui nous ont amené là où on en est. Favoriser des circuits de production et de consommation hyper locaux en est une."
Quand on a une vente directe entre un producteur et un consommateur, on utilise moins d‘emballage autour du produit, pour le transport, etc.", Flore Berlingen
"Et des mécanismes de réemploi peuvent très facilement s'appliquer dans ce cadre là: vous pouvez ramener votre boîte d'œufs, vos bocaux, vos cagettes au producteur. Chaque territoire peut d’ailleurs localement imaginer sa solution et sa propre boucle. On a tellement ce logiciel de l’industrie et de la grande échelle en tête qu’on veut forcément faire la même chose en réutilisable. Au contraire! Il faut essayer de déconstruire d’abord les choses et de voir quelles sont les solutions les plus simples."
*Recyclage, le grand enfumage - Comment l'économie circulaire est devenue l'alibi du jetable, Flore Berlingen, éd. Rue de l'Echiquier.