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On entend souvent parler les "anciens" de neiges profondes, de froid glacial ou de tempête dévastatrice... Et en ce qui concerne le mois de février 1956, ils sont nombreux à se remémorer cet hiver-là... "On n’a jamais vu ça! ", ou "il n’y a plus de saisons!", pouvait-on entendre alors. En effet, l’année 1956 a marqué les mémoires et, dans une certaine mesure, les paysages. Un épisode de froid exceptionnel s’est abattu sur la Provence durant tout le mois de février.
Vagues de froid soudaines
Durant cet hiver mémorable, on enregistre les températures les plus basses du siècle. Début février, et après un mois de janvier plutôt doux, un froid sibérien s’étend sur la France. Le Sud-Est change de physionomie. Ce sont trois vagues de froid successives qui ont touché la région, accompagnées d’abondantes chutes de neige et d’un vent violent et glacial. La première vague est arrivée le 2 février, avec un mistral qui souffle à 180km/h. La deuxième vague est arrivée dans la nuit du 9 au 10 janvier, accompagnée, elle aussi, de vents violents. La troisième vague touche la région le 19 février, après quelques jours de léger redoux. Avec elle, tombe encore une épaisse couche de neige.
Le 24 février, plusieurs centaines de localités sont encore isolées, notamment Draguignan, la préfecture du Var, et la presqu’île de Saint-Tropez, dont les villages sont ravitaillés par hélicoptères. Les rivières charrient des glaçons, les ports, dont ceux de Saint-Raphaël et Saint-Tropez, sont couverts de glace, tout comme l’étang de Fontmerle à Mougins. Phénomène unique, la mer, plus chaude que l’atmosphère ambiante, se met à "fumer". Tout prend un aspect irréel et la vie paraît tourner au ralenti. Au total dans la région, on comptabilisa vingt-cinq à vingt-huit jours de gel au cours de ce mois exceptionnel. La neige n’est pas en reste, avec de fréquentes chutes de plus de dix centimètres.
De graves conséquences
Dès le 9 février, voies ferrées et routes sont coupées, y compris la RN7. Des milliers de véhicules automobiles se retrouvent bloqués, sans compter les accidents et les toits effondrés. Les conséquences sur l’économie sont énormes.
Les cultures sont anéanties. Qu’il s’agisse de l’horticulture, la viticulture ou l’oléiculture dont vit alors la Provence. Les serres n’ont pas résisté au poids de la neige. Les maraîchers ont tout perdu. Même sur la côte, les mimosas et arbres fruitiers n’ont pas supporté les températures polaires. Des oliviers centenaires succombent, fendus par le gel. "Le bois hurlait", se rappellent les anciens. "De mémoire d’homme, on a rarement vu les oliviers geler en régions méditerranéennes. Pourtant, autour de nous, on entendait la plainte des oliviers qui agonisaient. En novembre et en décembre, il avait fait très doux. On était en manches de chemise dans les champs. Et puis c’est arrivé d’un coup, le 2 février. Le matin même, je me rappelle, on était encore bras nus. Mais dans l’après-midi, le froid est arrivé brusquement... La température a chuté très vite. Durant la nuit, il a fait jusqu’à moins 20°... Le plus surprenant, c’est que nous entendions les oliviers qui éclataient dehors. Ils étaient gorgés de sève à cause de l’hiver très doux qu’on avait eu jusque-là... C’était extraordinaire. On était dans la maison et les oliviers mourraient dehors, dans de grands craquements, comme ça, dans la nuit... Dans les jours qui ont suivi, il a fallu tous les couper... La plupart avaient plusieurs centaines d’années..."
L’arbre supporte habituellement un froid sec et de courte durée, mais pas celui, humide et de longue durée, de ce mois de février. La plupart des oliviers – aux alentours de cinq millions dans la région – devront être coupés. Beaucoup seront abandonnés.
Ce froid de 1956 accélère le déclin de l’oléiculture, commencée un siècle plus tôt, et l’abandon des terrasses sur lesquelles se trouvaient souvent les oliviers. Le ministère de l’Agriculture va offrir des primes à l’arrachage des oliviers dont quatre millions ont été détruits.
En contrepartie, on va planter de la vigne, dont le rendement est plus rapide. On faisait déjà du vin en Provence, bien sûr, mais essentiellement pour la consommation familiale. Dès lors, une nouvelle économie se développe.
Les paysages se métamorphosent et un autre système économique et social se dessine.
Dans les Alpes-Maritimes, c’est le mimosa, importante source économique, qui a souffert. Partout où les espèces se multipliaient, la totalité des feuillages a été roussie et les écorces ont éclaté. Les citronniers ont également été très atteints, même si dans la région de Menton, certains semblent avoir échappé aux effets de la gelée. Pour les mandariniers et les orangers de Nice et Cannes, les dégâts ont été plus sérieux et de nombreux arbres sont morts. De fait, pour certains producteurs, la perte a été lourde. De Menton au cap Ferrat, les jardins d’agréments des villas touristiques ont également été dévastés. À Antibes, les roses et les œillets ont également gelé, plongeant les producteurs dans le désespoir.
Le tableau s’assombrit lorsque quelques jours après la vague de froid, apparurent dans leur triste évidence les transformations imposées à certains aspects les plus séduisants et fructueux des paysages méditerranéens.
Entraide et système D
Face à cette situation dramatique, les moyens mis en œuvre paraissent dérisoires. Mais heureusement, l’entraide fonctionne. Tout comme la débrouille. Dans le Var, quelques chasse-neige et une dizaine de bulldozers, tentent de dégager les routes, mais les Ponts et Chaussées ne peuvent répondre à la demande, malgré la mobilisation de quelque sept-cents personnes. Grimaud, coupé du monde, est ravitaillé par des sauveteurs à skis et à dos d’âne. Tandis qu’à Saint-Tropez, isolé par un mètre de neige, et où les mouettes gèlent en vol, ce seront des hélicoptères. À Saint-Martin de Pallières, le village se rassemble pour dégager la neige sur les routes. Pour se nourrir, on vide les placards de leurs réserves, abondantes à cette époque à la campagne. On broie châtaignes et pois chiches pour faire du pain. Les glands torréfiés remplacent le café. Pour se chauffer quand le charbon vient à manquer, on brûle les meubles. Le dégel ne commencera que le 26 février. Il faudra plusieurs semaines pour réparer les dégâts. Certains se révéleront plus tard, ainsi la destruction des pins maritimes dans les Maures et l’Estérel, tués par une cochenille dont le prédateur naturel – une coccinelle – n’avait pas résisté au froid. Ainsi, février 1956 est devenu le mois le plus froid du XXe siècle. Pourtant, on a survécu... Et on notera, neuf mois plus tard, une nette augmentation des naissances.
Source: Observations générales sur la gelée de février 1956 dans les départements du Var et des Alpes-Maritimes par Alfred Dugelay (Hal - archives ouvertes).
Une modification du paysage méditerranéen
Malgré son climat réputé privilégié, la région n’a pas échappé aux funestes effets de la vague de froid de février 1956. Les abaissements sensibles de température ont largement porté atteinte à sa parure végétale. La flore indigène se caractérise par la prépondérance d’espèces à feuilles persistantes verdoyantes qui confèrent au paysage une douceur de printemps permanente. Or, par endroits et dès les premières atteintes du froid, le roussissement des feuillages, bientôt suivi de leur chute, a modifié cet aspect.
Couverts de neige, palmiers, mimosas alors en fleurs, orangers, citronniers chargés de fruits, offrirent le spectacle d’un rare et éphémère contraste de couleurs. Mais les conséquences du froid se mesurèrent lorsque, peu de jours après, il n’en restait qu’une vision affligeante de feuilles, fleurs ou fruits, gelés et roussis pendants des branches. De plus, les chutes de neige persistantes ont ajouté leurs effets à ceux de la gelée, les amplifiant parfois.
À des degrés variables, eucalyptus, faux poivriers, lauriers roses et tant d’autres espèces arborescentes qui y avaient acquis droit de cité, subirent aussi des dégâts.
Au final, sur les deux départements, on peut dire que les températures qui ont atteint une côte exceptionnelle pendant le mois de février 1956, ont modifié à jamais la physionomie du paysage méditerranéen.