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La canicule marine est-elle particulièrement sévère cette année?
Steeve Comeau: Oui, depuis deux ans. En 2022, dans la région niçoise, nous avons eu plus de cent jours au-dessus des normes de saison. 2023 est un peu moins sévère. Mais l’été est loin d’être fini.
A-t-on atteint des records de température?
Nuria Teixido: Oui, avec 28,8° le 21 juillet dans la baie de Villefranche. En 2022, nous avions eu le record absolu avec 29,2°. La pluie et le vent de ces derniers jours ont permis de faire tomber un peu la température.
Les deux années sont-elles comparables?
S. C.: Elles sont toutes les deux très chaudes. Historiquement, août est le mois le plus chaud. Mais depuis deux ans, il fait aussi très chaud en juillet.
Quelle est la définition de canicule marine? N. T.: On parle de canicule marine ou vague de chaleur marine. Ce phénomène survient quand la température de la mer, durant au moins cinq jours, est supérieure à 90% des températures les plus chaudes historiquement enregistrées.
Quelles conséquences pour les espèces? S. C.: Tous les organismes marins sont affectés. On observe une mortalité massive due au réchauffement climatique chez les coraux, les gorgones, les oursins, les mollusques, les éponges notamment. Leurs tissus se nécrosent. N. T.: C’est une mort silencieuse. L’effet touche toute la biodiversité.
Les organismes ne s’adaptent-ils pas? S. C.: Les espèces en profondeur sont moins touchées. Mais ce n’est pas le cas pour les espèces qui vivent attachées au substrat, comme les coraux rouges en eau peu profonde et qui se nécrosent avec les vagues de chaleur. N. T.: On observe des branches de coraux mortes; pour preuve: elles ont perdu leur couleur rouge.
Comment se dessine l’avenir? N. T.: On va sûrement perdre des espèces locales en faveur d’espèces tropicales. Ce qui va entraîner une perte importante de biodiversité.
La nature ne va-t-elle pas trouver un nouvel équilibre? S. C.: Les écosystèmes matures favorisent la biodiversité. D’ici quelques décennies, on risque d’avoir quelques espèces qui vont dominer l’écosystème. Mais c’est difficile à prévoir car un tel phénomène, c’est du jamais vu.
Une mer en pleine mutation
Résultante du changement climatique, la faune et la flore marines changent. Et c’est tout un nouvel écosystème qui se met en place.
"Certaines espèces qui entrent en Méditerranée sont une opportunité pour les pêcheurs", explique Pierre Gilles, chargé de projets Politique de l’Océan à l’Institut océanographique de Monaco.
"Le crabe bleu (photo) est arrivé il y a longtemps. Aujourd’hui, il prolifère autour de Gènes et du Languedoc. On n’en a pas encore vu dans les Alpes-Maritimes, le Var ou Monaco. Mais ce n’est qu’une question de semaines ou de mois je pense. Les pêcheurs s’aperçoivent qu’il est très bon et qu’il vaut cher."
Idem pour le Portunus segnis. Originaire de l’océan indo-pacifique, ce crabe vit maintenant en Méditerranée. "Depuis 2015, il prolifère dans la lagune de Tunisie. Les pêcheurs ont compris que ce crabe était très apprécié des Nord-Américains et des Asiatiques. Des filières de pêche sont organisées et 11 000 tonnes sont exportées. Mais ces deux espèces peuvent être une menace pour l’écosystème."
En plus du réchauffement de la mer qui invite de nouvelles espèces à prospérer en Méditerranée s’ajoute la surexploitation des ressources. "Dans son dernier rapport, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) souligne que 62 % des stocks de poissons pêchés en Méditerranée sont en état de surexploitation contre 37 % au niveau mondial."
Et d’autres menaces sont là : la densité urbaine sur les côtes, les pollutions plastiques, chimiques, lumineuses et sonores.
Des solutions
En plus de la décarbonation, Pierre Gilles explique qu’il faut "intensifier l’effort dans des aires marines véritablement protégées". Avec la "Stratégie nationale de biodiversité" présentée le 21 juillet 2023 par la première ministre Élisabeth Borne et le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu, la volonté est de créer 400 nouvelles aires protégées d’ici à 2027, soit 5 % de la mer métropolitaine. Par ailleurs, il a été annoncé la protection souhaitée de 100 % des herbiers de Posidonie. "C’est une très bonne chose", se réjouit Pierre Gilles, qui insiste aussi pour que les bonnes intentions se concrétisent.