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Biocoop Mougins
À l’entrée de la Biocoop de Cagnes-sur-Mer, posées le long de la vitrine donnant sur l’artère principale du centre-ville, 5 caisses noires s’exposent. À l’intérieur, des bouteilles de vin, de bières, de jus de fruits vides attendent sagement le passage du camion qui les amènera vers leur nouvelle vie.
Dans cette enseigne bio, comme dans tout le réseau des Biocoop de France, on tente de remettre la consigne au goût du jour. "Environnementalement, ça tombe sous le sens pour nous de nous engager dans cette démarche", martèlent Emilie et Yann Bellamy, gérants de ce magasin depuis novembre 2019. Ancrée dans les mœurs des consommateurs français jusqu’à l'avènement du tout plastique, dans les années 60-70, ce système de réemploi se cherche un second souffle à l’heure où la prolifération des déchets épuisent les ressources de la planète.
"Quand on leur parle de l’initiative, nos clients les plus âgés nous disent : enfin, on revient au bon sens!", raconte Emilie. "On a commencé la consigne fin 2022, sur l’impulsion de la coopérative Biocoop France. La problématique, c’était de trouver l’entreprise ou l’association qui, en local, puisse collecter et nettoyer les bouteilles en verre. Dans notre groupe de gérants de Biocoop des Alpes-Maritimes, on s’est mis à chercher. Et on a trouvé La consigne de Provence, ils se sont mis en lien avec le siège social de Biocoop et ça s’est progressivement mis en place concrètement dans les magasins", détaille Yann.
Opérationnel depuis décembre 2018, le service La consigne de Provence est le fruit d’une réflexion de fond menée par Ecoscience Provence, une association varoise basée à Brignoles et engagée dans la préservation de l’environnement. "À sa création en 2005, l’association avait tout un volet d’action sur la protection des cétacés et on s’est vite rendu compte que la vraie problématique pour eux, c’était la pollution", retrace Marion Leclerc, chargée de communication chez Ecoscience Provence.
Alors, dès 2012, l’association s’intéresse au réemploi et cofonde le réseau national Consigne, qui fédère aujourd’hui plusieurs centaines de porteurs de projets dans le pays et à qui l’on doit la création du pictogramme "Rapportez-moi pour réemploi" qui identifie les contenants derrière lesquels une filière de consigne locale existe.
Un projet d’unité de lavage de bouteilles dans le Var
Local, c’est la condition sine qua none de ce come back du réemploi pour La consigne de Provence. "Pour des questions écologiques évidemment, on ne va pas collecter des bouteilles en verre pour aller les laver à l’autre bout du pays ou du monde", dixit Marion Leclerc. Le nettoyage de ces contenants en circuits courts est aussi le gage d’une démarche soutenable économiquement, pointait en 2018 un rapport de l’Agence de la transition écologique (Ademe).
Faute d’un volume collecté suffisant à son lancement, l’association a opté pour faire nettoyer ses bouteilles au sein de l’association Locaverre dans la Drôme. "On planche sur un projet d’unité de lavage dans le Var qui pourrait voir le jour d’ici 2024-2025 en partenariat avec plusieurs acteurs économiques du coin", évoque-t-on chez Ecoscience Provence.
Pour collecter le maximum de bouteilles en verre, l’association varoise opère un travail de fourmi, sur plusieurs fronts. À commencer par le secteur du vin, tête de gondole de l’économie varoise.
"En faisant un diagnostic de la filière, on s’est rendu compte que la production de raisin était bien moins polluante que la bouteille et son emballage en termes d’empreinte carbone. Car même si le verre se recycle, le procédé n’est pas neutre : il réclame de l’énergie pour chauffer la matière, du sable, de l’eau... La consigne, c’est - 51% d’eau, - 76% d’énergie et - 79% d’émission de gaz à effet de serre par rapport au recyclage, éclaire Marion Leclerc. Et puis on ne met pas son assiette au recyclage après chaque repas, alors pour sa bouteille en verre plutôt que de la laver?"
Cahier des charges, normes sanitaires… Avant d’étendre son idée, La consigne de Provence a travaillé en partenariat avec le domaine viticole La Marseillaise, à La Crau. Aujourd’hui, l’association compte plusieurs vignobles dans ses 110 partenaires. Une goutte d’eau, toutefois, à l’heure où le secteur des vins de Provence revendique 160 millions de bouteilles produites par an (selon les chiffres de la Région Sud), dont 40 millions resteraient en Paca.
Car des freins forts subsistent dans l’industrie du vin provençal… "Le premier, c’est que les vins provençaux, rosés notamment, sont très appréciés et se démarquent aussi par l’outil marketing qu’est la bouteille: chaque domaine a la sienne et ont peu à peu délaissé la 'bouteille syndicale' traditionnelle, bien plus facile à nettoyer. Pour qu’une bouteille soit réemployable, il faut qu’elle pèse environ 500 gr afin de tenir dans le temps, au fil des lavages et des passages sur la chaîne d'embouteillage, qu’elle utilise une colle spéciale afin que l’étiquette se décolle facilement quand on la trempe dans un bain de soude et d’eau chaude, qu’elles ne soient pas trop anguleuses car cela rend le séchage difficile…", égraine Marion Leclerc.
Malgré les difficultés, la dynamique de la consigne est bien là. "En 2018, on collectait et lavait entre 1500 et 3000 bouteilles par an. Lors du dernier lavage en janvier 2023, il y en avait plus de 30 000", explique Marion Leclerc.
Parmi les autres points de collectes de l’association varoise, des restaurateurs et des magasins. "Il y a quelques années, on démarchait. Maintenant, on nous démarche. Lorsqu’un producteur ou un magasin nous appelle, il y a une phase de diagnostic. La boutique nous fournit une liste de références et on étudie celles qui sont éligibles au lavage. Pour les domaines, une chargée de projet se rend sur place pour étudier tous les plans verriers, faire des préconisations…", explique Marion Leclerc.
Et les arguments économiques viennent de plus en plus se conjuguer aux écologiques: "pour les domaines , on fait des lavages producteur par producteur. Pour eux, c’est l’assurance de récupérer leur stock et d’avoir des bouteilles dans une période où les verriers ont de vraies difficultés d'approvisionnement en matière première."
Gratifications, bons d'achats, dons ou simple engagement citoyen
Quant aux magasins, la consigne est avant tout un engagement sociétal. "On lave les bouteilles qu’on récupère chez eux et c’est à nous de leur trouver des débouchés. L’an dernier par exemple, grâce à une convention tripartite entre Hyper U - Ecoscience Provence et Valdepom, l'association Valdepom06 a récupéré des bouteilles en verre Hyper U pour ses jus", détaille Marion Leclerc d’Ecoscience Provence. L’enjeu est maintenant de faire rentrer le geste dans les mœurs des consommateurs.
"Nos premières caisses ont mis des mois à se remplir", explique Emilie Bellamy, co-gérantes de la Biocoop de Cagnes-sur-Mer, qui ne manque jamais d’expliquer la démarche dès qu’un client pose sur le tapis de sa caisse une bouteille éligible au réemploi. "Mais les choses bougent: avec les petites affichettes rondes fournies par La consigne de Provence et apposée devant les articles consignés dans les rayons, certains achètent en fonction de ça", abonde Yann.
Dans le réseau Biocoop, le geste vertueux n’est d’ailleurs pas récompensé par un bon d’achat, un rabais ou des points fidélités et c’est un choix. "On veut vraiment que les gens aient une prise de conscience", dixit les commerçants cagnois, qui renvoient désormais leurs 12 de caisses au lavage tous les mois environ. Croisée à la caisse, Cathy, une habituée de cette Biocoop du centre-ville, est enthousiaste: "le retour de la consigne, je trouve ça très bien. Je ne connaissais pas le logo apposé sur les bouteilles mais je vais être plus attentive à l’avenir", assure la cliente.
À Saint-Maximin, dans le Var, l'association Ecoscience Provence expérimente aussi une autre forme de collecte: depuis mars 2023, une machine à collecter les bouteilles à pris place dans l’enceinte du supermarché Super U.
"Pour une bouteille déposée éligible au nettoyage, le consommateur reçoit 10 cts en bon d’achat ou peut en faire don à une association. Si la machine n'identifie pas un code barre de bouteille compatible, celle-ci est restituée au client", détaille-t-on au sein de l’association varoise, qui cherche à embarquer d’autres enseignes de la grande distribution dans la démarche de location de ses machines et reste pragmatique.
"Il faut encore convaincre, oui. Tout changement prend du temps. Mais aujourd’hui, quand on voit nos progrès ou encore ceux de nos homologues dans la Drôme, en Occitanie, quand on voit que Bout-à-Bout, entreprise de réemploi du verre, vient de lever plus de 7 millions d’euros pour ouvrir une unité de lavage [près de Nantes], on se dit qu’il y a de l’espoir", conclut Marion Leclerc.
Vous avez envie de prendre part à la démarche? Pour trouver les points de collectes La consigne de Provence près de chez vous, c'est par ici. https://www.laconsignedeprovence.fr/consommateurs/consommer-autrement/