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Relier des images identiques pour libérer des lignes, franchir des niveaux, gagner des badges, faire grimper son score... Ces règles à la Candy crush sont en fait celle d’une appli mobile gratuite destinée... à faire avancer la recherche scientifique en terres azuréennes.
Son nom: Play for plankton. Plutôt que d’y aligner des bonbons identiques, les aficionados de jeux sur smartphone y relient des variétés de planctons similaires en analysant les images qu’ils ont sous les yeux, issues de prélèvements faits sur nos côtes méditerranéennes.
À l’initiative: la Française des jeux (FDJ) associée au Laboratoire d’océanographie de Villefranche, rattaché à Sorbonne université. L’idée de l’appli s’est échappée de l’esprit de Jean-Guy Escolivet, salarié de la FDJ mais aussi passionné de jeux vidéo et soucieux de l’environnement. "Elle a vu le jour grâce au programme d’intrapreneuriat à travers lequel la Française des jeux permet à ses employés de bénéficier d’un détachement pour développer en équipe un projet innovant", détaille l’entreprise.
En plus du temps accordé à son collaborateur créatif, la société a largement financé le jeu, qui a nécessité 10 mois de développement.
Près de 500.000 images à trier
Du pain béni pour les scientifiques de la Côte d’Azur, qui passent le plus clair de leur temps à scruter les différentes espèces de plancton, ces petits organismes si essentiels à l’environnement. "Depuis 1967, nous effectuons à Villefranche des suivies historiques, quasi uniques au niveau mondial. Tous les jours ouvrés, le bateau de la station va dans la rade et prélève du plancton. Chaque semaine, un pot est collecté et conservé dans du formol. Il peut ainsi se garder des dizaines d’années", détaille Jean-Olivier Irisson, chercheur en écologie du plancton, qui supervise ces travaux.
Pour étudier finement l’impact du changement climatique au fil du temps sur ces organismes microscopiques, qui jouent un rôle crucial notamment dans la captation du CO2, une toute petite équipe est ensuite chargée d’effectuer un tri dans ce colossal volume prélevé: quantifier les individus, les mesurer, définir et nommer les différentes espèces...
Un travail de fourmi, reposant sur les épaules de la technicienne Corinne Desnos. "La technique d’analyse traditionnelle, c’est de mettre une partie du plancton sous un microscope pour classer tout ça. En 2010, nous avons développé un scanner étanche qui extrait toutes les images d’un prélèvement. Puis, nous avons créé un outil d’intelligence artificielle qui nous suggère une première identification de l’espèce", détaille Jean-Olivier Irisson.
Les yeux des quelque 13.000 gamers inscrits sur Play for Plankton complètent désormais ce tableau. "Nous avons livré à l’équipe de la Française des jeux 474.000 images, soit deux années de prélèvement: 2021 et 2022. En s’amusant, les joueurs en ont déjà trié 182.000. Nous récupérons ensuite ces données sous forme de tableau et Corinne opère une vérification, cela lui fait un premier filtre", détaille le chercheur.
Et, bonne nouvelle, le cerveau humain n’est pas encore dépassé par la machine: "D’habitude, avec nos outils d’IA, on obtient des résultats juste entre 75 et 80%. Pour l’instant, les joueurs sont meilleurs de quelques pourcents de plus", glisse le scientifique.
Un puissant accélérateur de sensibilisation
Mais là n’est pas l’unique intérêt de Play for plankton... Car, sans avoir l’air d’y toucher, le joueur-trieur, dans sa quête, glane aussi dans ses filets de nombreuses informations scientifiques. Passé le niveau 3, on apprend, par exemple, que "l’augmentation des émissions de CO2 acidifie les océans" et que "cela nuit au développement des planctons qui captent alors moins de CO2".
À collectionner: des anecdotes mais aussi des fiches informatives sur chaque espèce, rédigées par Denys Altukhov, assistant ingénieur ukrainien spécialiste du plancton, réfugié de guerre à Villefranche. "Au total, 17.000 fiches ont déjà été lues sur l’appli", recense la Française des jeux.
"Cela dépasse très largement ce qu’on peut faire seuls en termes de communication, s’enthousiasme Jean-Olivier Irisson. Au sein du labo, nous avons un département sensibilisation mais les ordres de grandeur ne sont pas comparables. Les jours de Fête de la science, on touche 300 personnes..."
Le scientifique en a d’ailleurs fait l’expérience chez lui, avec son fils de 13 ans, fan de jeux vidéo et bêta testeur n° 1 de Play for plankton. "Lui s’est surtout piqué au jeu pour franchir les niveaux et récupérer le maximum de badges. Mais c’est arrivé qu’il vienne me partager une info qu’il avait apprise en débloquant une anecdote. Ça, c’est mon badge à moi!", sourit le papa.
Des améliorations à venir
Envie de rejoindre cette aventure ludique de sciences participatives? L’application, qui sera bientôt améliorée, est téléchargeable gratuitement. Seul bémol: pas toujours évident de s’y retrouver dans ces 50 nuances de micro-organismes à trier. Mais les paires d’yeux les mieux aiguisés devraient pouvoir contribuer à faire avancer la recherche. Alors, à vous de jouer!
Le jeu Play for plankton est disponible gratuitement sur l’App store, Google Play et Androïd.
Liens
App Store iOS https://apps.apple.com/fr/app/play-for-plankton/id6453474669
Google Play Store https://play.google.com/store/apps/details?id=io.Blackfoot.PlayForPlankton&hl=fr