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A 61 ans, Françoise Loquès est une docteure en biologie marine passionnée. Et passionnante. Formée sur les bancs de l’Université de Nice dans les années 1980, elle n’a depuis cessé de mettre sa réflexion et sa méthodologie au service de la Méditerranée. Impact des micro-plastiques, des rejets médicamenteux, du surtourisme, de la culture aquacole… Inlassablement, la scientifique interroge, dissèque, étaye les menaces qui guettent nos rivages.
Palmes au pied prête à plonger, moulinet en main ou lames de scalpel au bout des doigts sur une paillasse de labo… D’apparence discrète, cette femme brillante, souvent surnommée "le couteau suisse", a aussi su s’imposer avec force dans le monde très masculin de la science. Nous l’avons rencontrée à Nice Ouest, dans la maison du quartier de Carras où elle vit… et a vu le jour. Dans cet îlot de quiétude, jadis entouré de champs, aujourd’hui cerné d'immeubles, elle cultive son jardin - bio - et ses travaux pour un futur moins destructeur du vivant.
Le déclic
A Carras, Françoise Loques grandit avec la mer comme terrain de jeu. Les soirées sur la plage à jouer en famille, les baignades… ont façonné l’enfance de cette Niçoise. Mais c’est un souvenir plus traumatique qui constitue sans doute la première pierre de son engagement au service de la Méditerranée.
"J’étais petite, je nageais là, en face, à Carras quand j’ai été prise dans une grosse vague, sans plus savoir comment en sortir. Depuis, le côté tempétueux de la mer me fait peur, sa force… Trouvant cet élément un peu dangereux, aller expliquer ce qui s’y passe m’a sans doute semblé important", analyse-t-elle à posteriori.
Éprise de nature, la voilà plus tard embarquée dans un cursus de physiologie végétale à bachoter les hormones contenues dans les plantes, le processus qui amène les feuilles à rejoindre le sol à l’automne, les fruits à s’y écraser quand ils sont trop mûrs. C’est là, dans un couloir de l’université de Nice, qu’elle croise, au milieu des années 80, la route du professeur Alexandre Meinesz. "Une thèse sur la posidonie, ça vous intéresse?", lui lance le biologiste marin, réputé comme l’un des meilleurs spécialistes azuréens de la Méditerranée. Le début de son odyssée sous-marine…
"Lors d'une plongée mémorable en Corse, elle a bossé jusqu'au bout de ses forces. Elle avait déjà une grande endurance", Alexandre Meinesz, professeur en biologie marine qui l'a côtoyée étudiante
"Je l’ai lancé sur l'étude des petites plantes à fleurs marines, se souvient volontiers le professeur, aujourd’hui émérite. La posidonie était la plus connue. Françoise Loquès a découvert, au fil de ses recherches dans notre labo, que d’autres ne germaient que quand la salinité de l’eau était faible, dans les zones d’arrivée d’eau douce", retrace-t-il. 40 ans après, il se souvient encore de cette étudiante très opiniâtre. Et d’une plongée "mémorable" en Corse, pour replanter de la posidonie, ce poumon de la mer qui séquestre le carbone en plus d’abriter une riche biodiversité.
"C’était la fin de l’automne, la mer était mauvaise, l'eau froide. Elle a bossé jusqu'au bout de ses forces, on l’a récupérée complètement affaiblie mais elle a tenu jusqu’au bout. Elle avait déjà une grande endurance", salue-t-il.
L’action
Dans le monde masculin des labos de recherche, Françoise Loquès se fraie son chemin. "Je suis un peu féministe et c’était un milieu très macho! J’ai eu des réflexions pas très agréables à mes débuts. Je me rappelle de porter mon matériel et de m’entendre dire: 'retourne à tes cuisines'. Ce genre de remarques qui vous donnent encore un peu plus de pêche."
Pas revancharde pour autant, la Niçoise garde pour fil conducteur de sa carrière sa curiosité insatiable. Son but: être utile, toujours, à la compréhension de cette mer qui la fascine, pour mieux la protéger. Experte en cheffe au sein du Conseil scientifique des îles de Lérins, qu’elle rejoint dans les années 1990, elle mène des études d’impact en amont, pendant et en aval d’aménagements côtiers, veille, évalue, conseille aussi la ville de Cannes sur le réensablement des plages, la mise en place de l’éco-musée sous-marin…
"Dans les eaux polluées, on retrouve notamment la présence de nos détergeants"
Vite, un dénominateur commun à ses travaux se dessine: l’impact de l’homme sur l’environnement. A travers, notamment, les rejets en mer des stations d’épuration. "Au sein du conseil scientifique, on a, par exemple, étudié les effets des embruns sur la végétation. Dans les eaux polluées, on retrouve notamment la présence de nos détergents, qui ont la capacité de dégrader les graisses. Au contact de la cuticule des feuilles des plantes, qui est une couche de lipides, ils vont l'abîmer, qui plus est avec l’effet combiné du sel. Aux îles de Lérins, sur 4 points d’analyses sur le rivage, la végétation était comme brûlée", détaille-t-elle.
Niçoise, Françoise Loquès habite à Carras, dans la maison de famille qui l'a vue naître. Photo Franck Fernandes.
"J'ai trouvé jusqu'à une quarantaine de microfilaments de plastique par moule, un problème de sécurité sanitaire"
C’est aussi elle qui met au jour la présence de microplastiques dans les sédiments et les organismes vivants de nos côtes. Pour cela, la voilà plongeant par 12 m de fond pour y déposer des cages de moules, destinées à nourrir ses analyses. "Mes rats de laboratoire", sourit-elle. Ainsi, elle révèle une contamination notable aux microfilaments en polyester, issus des vêtements synthétiques lavés en machine… "En 2021, j’ai trouvé jusqu’à une quarantaine de microfilaments par moule, un problème de sécurité sanitaire", met-elle en garde.
En parallèle, l’insatiable sentinelle, pêche au lamparo des poissons pour explorer une autre piste : la présence éventuelle de médicaments dans la mer et ses habitants. Une fois encore, seul un travail scientifique rigoureux le dira.
De 2018 à 2022, la scientifique bataille pour décrocher des financements indispensables à l’analyse des quelques 200 prélèvements qu’elle fait dans l’espace de dilution des rejets des stations d’épuration de Vallauris Golfe-Juan et de Cannes: eau, sédiments, foies et muscles de poissons, moules.
Verdict: des poissons de nos rivages contiennent bien… des anti-inflammatoires. La lanceuse d’alerte va alors plus loin et rédige un guide gratuit pour sensibiliser le grand public, le diffuse, le défend dans des conférences, des colloques de médecin pour inciter à des prescriptions plus responsables.
Et maintenant?
Vaillante, Françoise Loquès sait aller au bout de ses engagements. Et en reconnaître les difficultés. "Pour mes travaux sur les médicaments, je me suis heurtée au refus de financement de collectivités locales. Soutenir des études contres productives pour l’image de marque du territoire n'intéresse souvent pas…", pose-t-elle. Qu’importe, elle continue.
Depuis 2023, la scientifique a quitté le Conseil scientifique des îles de Lérins, monté Mission bleue, son cabinet de conseil en environnement. Avec pour unique objectif d’éclairer la société, les comportements.
"Je suis affolée par les crèmes solaires, un vrai poison. Quand vous voyez le film lipidique à la surface de l’eau les fins de journées d’été à la plage, évidemment que ça inhibe la photosynthèse!", lance-t-elle. Les fartage des skis la questionnent aussi. "Quand la neige fond, l’eau va dans les nappes phréatiques. Quels effets ont ces matières-là sur la nature?"
Autant de problématiques à explorer méthodiquement. A condition de trouver des financements. "Politiquement pour l’instant, je sens qu’il faut taire certains sujets. Mais la politique de l'autruche n’a pas de sens car elle oblige à traiter les problèmes dans l’urgence plutôt que de les anticiper", prévient-elle.
Passionnée de nature, elle randonne ou cultive son jardin - sans pesticides - quand elle n'est pas sur le terrain. Photo Franck Fernandes.
Mère de deux grands enfants, à qui elle expliquait, petits, "les atomes, les protons" à grand renfort de dessins tracés sur la plage, Françoise Loquès trouve satisfaction dans cette idée: "c’est pour la jeunesse que je fais tout ça."
Alors quand elle n’est pas en train de mener ses expériences, la voilà animant des conférences*, vulgarisant inlassablement. Le reste du temps? Vous la croiserez peut-être sur les sentiers de randonnée de l’arrière-pays ou sillonnant la côte à vélo. Avec toujours un œil sur la mer.
*Ce mardi 9 avril 2024, à 9 heures, conférence "La Méditerranée, ses richesses et ses menaces", par Françoise Loquès, espace Laure Ecard, quartier Saint-Roch à Nice. Plus d’infos ici. https://unia.fr/emploi-du-temps/