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Au moment de la rentrée scolaire, évoquons cette révolution intellectuelle et scientifique.
Le 6 février 1798, l’ingénieur en chef du département des Alpes-Maritimes, diffuse cette note étrange, peu aimable à l’égard des "ouvriers": "Notre département offre une grande aptitude à l’instruction, quoiqu’on n’y parle ni le français ni l’italien mais les deux langues à la fois. Afin de propager la connaissance et l’usage des mesures républicaines, je suggère d’organiser une instruction publique élémentaire en douze leçons le soir, pour mettre les principes et leurs applications à la portée des ouvriers les plus bornés".
De quelles "mesures républicaines" s’agit-il? Des nouveaux principes révolutionnaires et politiques qui régissent désormais la France? Des lois nouvelles qui sont imposées au pays? Non, les mesures en question s’entendent au sens mathématique.
Il s’agit ni plus ni moins que des mesures de longueur, de surface, de volume, de poids. Une révolution vient d’intervenir à leur sujet: le pays a décidé d’adopter le système métrique.
Chaque région avait ses particularités
Jusqu’alors, les unités de poids et de mesures étaient variables d’un lieu à l’autre. Pour les longueurs, on faisait référence au corps humain: le pouce (environ 2,5 centimètres), le pied (autour de 30 centimètres), le pas... Il y avait aussi les multiples de ces mesures: par exemple trois pieds constituaient ce qu’on appelait une "verge". (non ce n’est pas ce que vous croyez: la verge en question mesurait 90 centimètres!), six pieds faisaient une "toise".
On imagine toutes les escroqueries qui pouvaient résulter de l’utilisation de ce système. Les commerçants s’en donnaient à cœur joie.
Chaque région avait ses particularités. Sur la Côte d’Azur, on utilisait la "cannes" (2 mètres environ). Mais la valeur des cannes pouvait varier de 40 centimètres entre Nice et Grasse ou entre Antibes et Fréjus. Sur la Croisette, on ne vous dit pas, avec l’arrivée des touristes et des hivernants qu’on pouvait facilement berner, c’était un vrai festival!
Le "pan" ne servait pas à mesurer les murs mais l’écartement des étoiles. Là encore, les pans des Alpes-Maritimes n’étaient pas ceux du Var.
Les distances se mesuraient en milles (1,6 kilomètres) ou en lieues. La lieue faisait environ 3 kilomètres à Paris et 4 à Nice.
Le comble de l’aléatoire fut certainement atteint dans les Alpes-Maritimes avec l’usage du "chemin" (distance parcourue en une heure, estimée à 1.300 mètres) ou de la "journée" (correspondant à une journée de travail d’un laboureur sur une surface estimée à 0,04 hectare). Cela permettait aux ouvriers d’être payés en conséquence.
Pour ce qui est des surfaces, on parlait de "sétérées" à Menton ou à Monaco (ce qui était la même chose puisque Menton faisait partie, à l’époque, de la Principauté de Monaco) ou de "trabucs" dans l’arrière-pays niçois. Pour le poids, on utilisait le "sétier" à Nice et le "panal" dans le Var. Deux poids, deux mesures!
Le "rub" pour mesurer les quantités de vin
Le "panal" pouvait se diviser. On parlait alors de "picotin" (le fameux "picotin d’avoine") ou d’"émine" dans le Var. On y avait bonne émine! Le "rub" permettait de mesurer les quantités de vin. À l’époque, la vente du vin ne se faisait pas à la contenance mais... au poids.
Il fallait mettre de l’ordre dans tout cela. Cela fut fait en 1790. Sur la proposition de Talleyrand, l’Assemblée constituante se prononça à Paris pour la création du système métrique décimal.
En 1793 est adoptée une définition toute simple du mètre: c’est la dix millionième partie d’un quart de méridien terrestre. On perçoit tout de suite la simplification.
Le gramme, lui, est défini comme la "masse d’un centimètre cube d’eau à la température de 4 degrés Celsius". Reste à savoir ce qu’est un "degré Celsius": il est obtenu "en divisant par 100 l’échelle qui va de la température de la glace fondante à l’ébullition de l’eau... au niveau de la mer".
Le litre, quant à lui, est le volume occupé par la masse d’un kilogramme d’eau pure, soit un décimètre cube.
Le système décimal rendu obligatoire le 4 novembre 1800
Introduit par la loi du 23 septembre 1795, le système décimal est rendu obligatoire le 4 novembre 1800.
Deux préfets s’employèrent à le faire respecter dans le Var: Jean-Antoine Fauchet, ex-ambassadeur de France auprès du premier président des États-Unis, Georges Washington, puis Pierre Melchior d’Adhémar – cet important préfet varois qui a des allées à son nom à Draguignan et dont on vient de commémorer le bicentenaire de la mort, le 2 septembre 1821.
Dans les Alpes-Maritimes, les deux préfets qui s’attelèrent à la tâche furent Alexandre de Châteauneuf-Randon, dit le "Marquis rouge" à cause de ses idées révolutionnaires, et le célèbre préfet Dubouchage, dont un boulevard porte le nom à Nice.
Tables de conversion et ouvrages édités
Ces préfets firent fabriquer des étalons, c’est-à-dire des mesures-modèles. Des artisans "officiels" furent désignés pour les fabriquer: le menuisier Vérani, à Nice pour les mètres en bois, le potier Cioni à Draguignan pour les litres en étain, le fondeur Sénéval à Draguignan pour les poids, les mécaniciens Carles et Auziéra à Nice pour les balances.
Sur les murs de beaucoup de mairies furent gravés des mètres dans la pierre, afin que chacun puisse s’y référer.
Des "Tables de conversion" furent éditées par le ministère de l’Intérieur pour chaque département.
C’est ainsi que le bon peuple apprit à Nice que la palme valait 26,2 centimètres, la canne 2,1mètres, la sétérée 1544 mètres carrés, le cantaro 47 kilos, la pinte 7 décilitres, la carica 94 litres, la charge 162 litres, la coupe 28 litres, l’émine 20 litres, etc.
Les ouvrages pédagogiques se multiplient comme la Table des comparaisons entre les mesures anciennes usitées dans le département des Alpes-Maritimes et celles qui les remplacent dans le nouveau système avec leur explication et leur usage, rédigée par un certain Feroglio, professeur de mathématiques à l’École centrale de Nice, futur lycée Masséna.
Nommé par la suite administrateur du lycée de Marseille, ce Feroglio perdra le sens de la mesure et sera impliqué dans une vaste affaire d’escroquerie! On ne sait jamais à qui se fier...
Pour prendre connaissance de toutes ces tables de conversion, encore fallait-il savoir lire. Or, selon René Liautaud dans son Histoire du pays niçois: "en 1789, la langue française était ignorée de la moitié des habitants. De part et d’autre du Var, on parlait le niçois ou le provençal. Un dixième de la population savait lire et écrire. En 1802, il n’y avait que quatre écoles primaires à Nice et six dans le département."
Malgré tous les efforts pour répandre le système métrique, les choses n’avancent guère. Fin 1809, à Nice, le préfet Dubouchage perd patience. Dans un rapport, il constate "que les commerçants continuent à faire usage des anciens poids et que cette indulgence doit cesser, que cela est contraire à l’intérêt des acheteurs car les anciens étalons ayant été brisés, on ne peut vérifier la valeur de leurs poids, que beaucoup de marchands mélangent les anciens et nouveaux poids, ce qui entraîne des fraudes considérables."
Mais en 1814, après la chute du Premier Empire, Nice revient au Royaume de Piémont-Sardaigne. Par la même occasion, les Niçois reviennent au vieux système de poids et mesures. Le système décimal est décimé! Nice ne le retrouvera que lors de son rattachement à la France en 1860. Entre-temps, il avait fallu attendre 1840 pour que le système entre vraiment dans les mœurs en France.
Pendant trois à quatre décennies, les Français furent ballottés entre l’ancien et le nouveau système. Heureusement, ils avaient su s’adapter en utilisant un autre système bien connu: le "système D"!
Un système lent à s’imposer
Le système métrique est le plus employé au monde. Il s’agit d’un système décimal permettant de passer d’une unité à ses multiples ou sous-multiples à l’aide de puissances de dix (soit en déplaçant une virgule dans l’écriture du nombre). Il est employé pour les mesures de poids et de mesure – mais point pour la mesure du temps et des angles.
Au moment de son lancement à la Révolution, ce système voulut être étendu à deux autres domaines que les poids et mesures: la monnaie et le calendrier. Si le système monétaire, avec le franc et ses centimes, a été maintenu, le calendrier révolutionnaire a été abandonné avec un retour au calendrier chrétien.
Le système métrique a mis longtemps à être appliqué. Il fallut attendre le 12 février 1812 pour que Napoléon prenne un décret l’imposant dans le commerce… tout en gardant des appellations anciennes: aune, toise, boisseau, livre.
La loi du 4 juillet 1837 signée par le roi Louis-Philippe rendit obligatoire l’usage des unités du système métrique à partir du 1er janvier 1840, dans le commerce et dans la vie civile et juridique.
Il existe deux domaines où le système métrique n’est pas en usage: la navigation maritime et aérienne on compte les distances en milles (un mille valant 1.852mètres) et la vitesse en nœuds, (un nœud valant un mille marin par heure).