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D’ici à la fin de l’été 2022, les Alpes-Maritimes et le Var présentent un risque de sécheresse, selon une étude publiée par le ministère de l’écologie. Hiver particulièrement doux, augmentation des températures, amenuisement des réserves, la gestion de nos ressources en eau est le défi de demain. Comment pouvons-nous agir? Quels impacts sur nos territoires? On a un mois pour enquêter.
Alerte à la sécheresse dans les Alpes-Maritimes et le Var. Dès fin mars, dans les Alpes-Maritimes et le Var, les préfectures ont émis des recommandations, pour restreindre la consommation en eau dans certaines communes.
Mi-mai, la situation s'annonce déjà critique dans certains secteurs du Var et des Alpes-Maritimes. C'est le cas à Seillans où un camion-citerne réapprovisionne 6 fois par jour la commune en eau. 400 foyers au nord du village sont déjà concernés par cette pénurie.
Mi-juin les habitants subiront des coupures planifiées pendant la nuit, puis en journée. "J’ai peur qu’on en vienne à distribuer des bouteilles d’eau aux Seillanais. Il faut qu’ils prennent conscience que ce bien commun n’est pas inépuisable", regrette René Ugo, maire de la commune.
Cette année, nous avons une sécheresse inédite dans le sens où elle a commencé tôt… janvier et février ont été pauvres en eau" , explique Philippe Gourbesville, hydrologue et professeur à Polytech qui travaille sur la question depuis 15 ans.
En moyenne, les Alpes-Maritimes et le Var enregistrent un volume d’eau annuel de 700 à 800 mm au m2, explique Philippe Gourbesville. C’est le même volume qu’à Paris."
Or cette année, le déficit en eau est de 48 % sous la normale. Une situation inédite depuis… 2007.
Pénuries d’eau en série
Pluies insuffisantes, peu de neige pour grossir les rivières, et des nappes phréatiques qui ne se sont pas rechargées expliquent cette situation.
"La sécheresse n'est pas due qu’à un déficit de précipitations, explique Joël Guiot, chercheur et climatologue au Centre Européen de Recherche et d'Enseignement en Géosciences de l'Environnement et co-président du Grec-Sud. L'artificialisation des sols aggrave la situation sur notre littoral qui est très urbanisé. L'eau qui tombe ruisselle et se retrouve à la mer… et n'alimente donc pas les nappes phréatiques.
Philippe Gourbesville invite à observer le problème sous un prisme encore plus large.
"L’absence de précipitations est une dynamique à l’échelle de la planète, liée à la circulation atmosphérique, souligne encore le chercheur. Ce qui crée des précipitations chez nous, c’est une masse d’air qui traverse la Méditerranée et qui sature au-dessus de la mer et se décharge sur le littoral. C’est un phénomène complexe qui met en jeu, par exemple, les courants océaniques."
Variété du territoire, complexité du phénomène
Notre territoire n’est pas touché partout de la même manière. Les communes du haut et moyen pays qui se distinguent par leur topographie, plus pentue, sont plus difficilement alimentées en eau.
"Un problème dans les équipements et on se retrouve rapidement en difficulté", détaille Philippe Gourbesville.
Le scientifique refuse de tenir un discours alarmiste pour autant.
Si la sécheresse menace particulièrement les Alpes-Maritimes et le Var ces prochains mois, selon une carte publiée par le ministère de l’écologie, cela ne présage cependant rien concernant nos ressources en eau, ajoute Philippe Gourbesville
"Il faut observer les sols, poursuit-il. Comparativement si vous regardez la Bretagne, il y pleut plus qu’à Nice mais les ressources sont très modestes, notamment car les sols, granitiques, ne retiennent pas l’eau."
Si l’artificialisation des sols est importante, notamment sur notre littoral, leur composition, faite de marne et de calcaire, permet un meilleur stockage.
Demain, des sécheresses plus fréquentes
"La sécheresse que nous connaissons actuellement, n'est pas forcément liée au réchauffement climatique. En Méditerranée, on a des années plus sèches et des années plus humides", note Joël Guiot, chercheur et climatologue au Centre Européen de Recherche et d'Enseignement en Géosciences de l'Environnement et co-président du Grec-Sud.
Un constat partagé par Philippe Gourbesville. "2022 emprunte la même trajectoire que 2007 qui a été une année extrêmement sèche avec une moyenne de 310 mm par m2 de précipitations." Le scientifique rappelle aussi les périodes sèches entre 1980 et 1990 ou encore 2001 et 2007.
Qu'en sera-t-il demain?
"Les projections pour la fin du siècle font état de grandes incertitudes sur les précipitations: les pluies diminueront en été sur le littoral, poursuit Joël Guiot.
Et à cause de la hausse des températures liée au réchauffement climatique, l'évaporation de l'eau va augmenter. Et avec elle, une nouvelle diminution des ressources.
Précipitations plus courtes mais plus intenses
"Il pourrait pleuvoir davantage, notamment à l'automne avec les épisodes méditerranéens, tels qu'on les a connus avec la tempête Alex: 500 mm d'eau se sont abattus en une journée, rappelle le climatologue. Mais ces précipitations ne permettront pas de réalimenter suffisamment les nappes en raison de l'artificialisation des sols qui empêchent une bonne infiltration de l’eau."
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que "c’est la manière dont les pluies vont tomber qui va changer", constate Philippe Gourbesville.
Plus courtes mais plus intenses. "Et avec ce changement, c’est la manière dont on recueille l’eau qui va différer", poursuit l’hydrologue.
Salinisation des nappes phréatiques
Autre effet attendu du changement climatique: l'élévation du niveau de la mer va conduire à une salinisation des nappes.
"On l'observe déjà en Camargue, à la Crau, sur la presqu'île de Giens. Une situation qui pose des problèmes aux agriculteurs."
Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la recharge des nappes à l’échelle nationale pourrait faiblir de 10 à 30 % d’ici à 2070 à cause du dérèglement climatique, doublé de la surexploitation.
Dès lors, comment faire face aux sécheresses à répétition?
Prendre soin des sols
"Le premier remède à la sécheresse est d'arrêter d'artificialiser les sols. Une mesure préconisée par les experts du GIEC, et qui figure dans la loi climat et résilience de 2021, fait observer Joël Guiot. Il faudra voir comment cette mesure se traduira dans les décrets d'application."
Le climatologue pointe la nécessité de limiter l'étalement des villes, mais aussi de développer les espaces végétalisés urbains, avec des espèces méditerranéennes, résistantes à la sécheresse, et des points d'eau.
Des considérations déjà prises en compte comme à Cagnes-sur-Mer où les bords de la Cagne sont en voie de renaturation.
Cela invite à repenser nos installations et structures. "Si vous faites un parking, vous pouvez par exemple ne pas tout bétonner, mais mettre des graviers à la place, qui laisseront l’eau pénétrer plus facilement", remarque Philippe Gourbesville.
Diversifier et mettre en commun les sources
Essayer, également, de diversifier les sources d’alimentation en eau, qu’elles soient souterraines ou superficielles.
"Dans les Alpes-Maritimes, nous avons la chance d’avoir les Alpes, qui font office de château d’eau. Dans le Var, il y a moins de sources mais vous pouvez prendre le lac de Carcès qui alimente Toulon."
L’idée est également de partager les ressources entre communes.
"C’est le cas, notamment, sur le littoral, explique Philippe Gourbesville. Les villes sont connectées entre elles, elles peuvent transvaser leurs ressources. C’est plus difficile pour les communes du haut et moyen pays car les montagnes qui se dressent entre elles rendent plus difficile la liaison entre elles."
Changer nos habitudes, notre alimentation
Doit-on revenir à plus de sobriété? La réflexion s’impose à différentes échelles, de l’individuel au global.
"Il faudra utiliser l'eau de façon plus parcimonieuse"
En posant des contraintes sur la construction de nouvelles piscines, ou en augmentant le prix de l'eau."
A la maison, préférer la douche au bain, par exemple. Dans les jardins, aussi, remplacer la pelouse par des plantes méditerranéennes.
"Dans certains Etats américains, comme le Nevada, note Philippe Gourbesville, vous ne pouvez pas planter plus de 30% de plantes à arroser."
En matière d'agriculture, privilégier des systèmes d'irrigation de goutte à goutte plutôt qu'un arrosage à grandes eaux.
"La clé c'est l'agriculture, 93% de l'eau mondiale est utilisée à des fins agricoles", a expliqué Emma Aziza, hydrologue sur France Inter. Elle appelle à réduire la consommation de viande. "Il faut 4,1 tonnes de céréales pour produire 1 tonne de poulet, et pour le boeuf, il faut 3 fois plus de céréales." Donc d'eau pour faire pousser l'alimentation nécessaire à l'élevage.
Mais, explique-t-elle, la question de l'eau est beaucoup plus large.
C'est la question de notre assiette, de la manière dont on s'habille, de ce qu'on achète. C'est ce qu'on appelle l'eau virtuelle, elle est cachée partout dans tous nos modes de consommation."
Des changements d’habitude et de consommation qui amènent de nombreuses questions.
Un mois de reportages, longs formats
Cultivera-t-on les mêmes choses demain à l’heure où l’on parle de remplacer le maïs par des cultures moins gourmandes en eau? A quoi ressemblera notre assiette? Et nos habitations?
Alors que le Sud de la France enregistre la plus grande concentration de piscines, faut-il encore en construire chez soi? Comment préserver nos ressources en eau?
Ce sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre tout le long de ce nouveau dossier "Eau secours."
Jusqu'à la fin du mois de juin nous vous proposerons une série de reportages, longs formats.