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#1 Remplacer le bitume et l’asphalte
Faire gagner du terrain à la végétation est évidemment primordial. A condition de le faire correctement. Aux pelouses tondues, qui auront tendance à jaunir aux premières chaleurs, préférer "des sols prairies, fauchés rarement, vivants et permettant donc à l’eau de s’infiltrer, car ils sont plus à même de rafraîchir", indique la spécialiste du Cerema.
*A l'ombre des arbres - Planter la ville pour demain, C. Mollie (ed. Delachaux et Niestlé)
#2 Eviter le tout élagage des arbres
Avec leur ombre portée, leur photosynthèse à même de capter le rayonnement solaire et l’évapotranspiration de leur feuillage, les arbres sont les alliés du rafraîchissement des villes. Mais attention à choisir les bonnes espèces (contrairement aux palmiers, pauvres en ombre et sujets aux nuisibles) et à les entretenir correctement.
"Cela ne sert à rien d’en planter si on passe son temps à les élaguer", juge Caroline Mollie, qui en appelle à revenir au "bon sens jardinier".
"A Grenoble, la ville a reformé les couronnes des arbres, jusqu’alors drastiquement élaguées. Si vous regardez les cartes postales anciennes de Nice, sur les avenues Jean-Médecin, Borriglione ou Malausséna, on voit de grands platanes qui débordent au-dessus du tramway. Aujourd’hui, le principe de précaution prime. Or, il s’agit d’avoir recours à des arboristes spécialisés, qui vérifieront tous les 3 à 5 ans s’il y a des branches mortes, et d’avoir une vigilance en cas de tempête", préconise-t-elle.
Une approche qui vise aussi les espaces privés. "Environ 70% de la surface des villes le sont. Or il y a encore en France, contrairement au Royaume-Uni par exemple, cette notion de couper ses végétaux à la limite de propriété. C’est une fausse bonne idée", souligne Caroline Mollie.
#3 Des pergolas végétalisées quand le sous-sol est inexploitable
Réseaux d’eau, de transports, parkings, tunnels… Planter de grands feuillus en ville n’est pas toujours possible dans des sols contraints. Car ceux-ci ont besoin d'une certaine épaisseur de terre pour laisser leurs racines s'épanouir.
"Dans ces cas-là, l’ombre peut être créée grâce à des pergolas végétalisées. Au pied, on peut y planter en terre (et non pas en pot!), des roses, du jasmin, des passiflores. Il existe énormément de plantes grimpantes en Méditerranée", conseille Caroline Mollie.
#4 Créer de l’ombre avec des volets et des voilages amovibles
Des axes larges jalonnés d’immeubles hauts, voilà qui est plutôt commun dans les centres villes. Ces avenues et boulevards imposants ont même un nom: "les rues canyons".
"Dans ces rues, on a un effet de réverbération des rayons du soleil entre les bâtiments qui font que la chaleur va se stocker de manière très importante", explique Loéna Trouvé du Cerema.
Pour autant, impossible de tout raser pour reconstruire différemment. "Ce serait ni réaliste ni souhaitable d’un point de vue des émissions de gaz à effet de serre. En revanche, on peut travailler sur des systèmes d’ombrage, avec des volets horizontaux pour détourner les rayons du soleil ou des voiles, qui peuvent être retirées en hiver, comme c’est le cas à Cordoue, en Espagne, à Avignon, Montpellier ou encore Marseille", préconise la cheffe de projet aménagement et transition écologique au sein du Cerema.
#5 Sur les places historiques, miser sur des arbres hauts
Dans les centres historiques, des solutions sont à envisager pour concilier respect du patrimoine et rafraîchissement. "Si on se réfère aux villes italiennes, les plus belles places et espaces qu’on admire sont sans arbre", constate l’architecte-paysagiste niçoise Caroline Mollie.
En revanche, "y privilégier des arbres hauts permettrait de voir l’ensemble architectural sous cette voûte végétale", souligne cette spécialiste de l’arbre en ville. A condition, toujours, d’avoir suffisamment de terre disponible dans le sol pour permettre leur épanouissement.
#6 Renvoyer les rayons du soleil, au cas par cas
L’albédo, c’est le pouvoir réfléchissant des matériaux, c’est-à-dire leur capacité à renvoyer le rayonnement du soleil vers le ciel pour éviter que la chaleur ne s’accumule dans les rues. "On en entend beaucoup parler dans la lutte contre la surchauffe en ville, c’est une solution intéressante mais pas magique, à utiliser après une analyse point par point", préconise Loéna Trouvé du Cerema.
On parle là de revêtements ou de peintures claires. "Mais des routes blanches vont avoir tendance, par exemple, à aveugler les conducteurs. A noter aussi que ces peintures se salissent vite. Une enrobée sombre, qui vieillit bien, va s'éclaircir et donc devenir plus fraîche au fil du temps. Une peinture blanche qui se salit aura, en fait, un albédo équivalent", précise-t-elle.
Passer à des teintes plus claires peut avoir, en revanche, du sens pour les toitures. "A Paris, un dialogue est en train de s’engager autour du zinc, un matériau remarquable mais qui génère beaucoup de surchauffe", détaille la cheffe de projet au Cerema.
#7 Orienter et stocker l’eau de pluie
C’est un enjeu clé de la cité rafraîchie de demain. "Il y a en ville des enjeux de gestion des eaux pluviales et de ruissellement", pointe Loéna Trouvé. D’autant que le changement climatique accentue inexorablement les sécheresses, comme on l’a constaté en Paca en 2022 et 2023.
Pour cela, la métropole lyonnaise expérimente des arbres de pluie, en adaptant la voirie de telle sorte que l’eau ruisselle vers les racines des arbres.
"Des collectivités travaillent aussi autour de fosses de Stockholm. Celles-ci sont aménageables malgré des sols contraints. Il s’agit d’espaces de stockage, contenant de gros galets qui permettent de stocker l’eau pour que l’arbre puisse s’en nourrir."
Des aménagements qui nécessitent "de prendre en compte, là encore, les réseaux souterrains pour ne pas inonder un parking ou un réseau de métro", souligne la spécialiste du Cerema.
La loi ZAN vise à limiter les droits à construire en France
VRAI. Extension des villes, développement des zones commerciales, création d’infrastructures de transports, de services, de loisirs… La France a artificialisé plus de 250.000 hectares de sols entre 2011 et 2021, perdant ainsi, chaque année, de 20.000 à 30.000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers - l’équivalent de cinq terrains de football par heure, selon Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique.
La loi Climat et résilience du 22 août 2021 a posé un objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. À cette échéance, autant de surfaces qu’on ne lui en prend devront être rendues à la nature. L’effort sera progressif. Sur la période 2021-2031, les collectivités territoriales doivent déjà réduire de moitié leur étalement par rapport à la décennie précédente. Une commune qui a consommé 10 ha de terrain entre 2011 et 2021 devra, par exemple, se limiter à 5 ha pour la période en cours. A l’échelle nationale, cela représente 125 000 hectares à préserver de toute nouvelle opération d’aménagement, d’ici à 2031.
Les maires sont majoritairement contre la loi ZAN
VRAI ET FAUX. Les élus locaux sont d’accord avec ses objectifs : lutter contre le réchauffement climatique et les îlots de chaleur urbains (un sol artificialisé n’absorbe plus de C02), préserver la biodiversité, limiter l’imperméabilisation des sols et les risques d’inondations. Pourtant, beaucoup sont vent debout contre des directives qui, selon eux, en raréfiant le foncier disponible, vont accroître le coût des terrains et aggraver la crise du logement.
Les maires des petites communes rurales sont les plus remontés. Ceux qui ont peu construit ces dernières années sont en effet contraints au même effort que ceux qui ont bétonné à tout-va, ce qui pénalise les plus vertueux, estiment-ils. Leur crainte, s’ils ne peuvent plus accueillir de nouveaux habitants, c’est de perdre leur école, leur médecin, leur boulanger… et de renoncer aux projets, faute de recettes fiscales. Le décret n°2023-1097 du 27 novembre 2023 relatif introduit une marge de manœuvre pour permettre aux territoires (régions, agglos) de prendre en compte les spécificités locales dans leurs documents de planification et garantit une surface minimale communale de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers.
Le Zéro artificialisation nette va considérablement modifier l’architecture des villes et des bourgs
VRAI. Beaucoup de Français vont devoir faire une croix sur leur rêve de maison neuve individuelle avec jardin, proche des commerces et services. Les solutions préconisées pour répondre aux besoins de logements? Densifier les bourgs en privilégiant les petits collectifs à étages, reconvertir des friches (le pays en compte 170 000 ha) et rénover des logements vacants.
Les projets de lotissement ont déjà ralenti
FAUX. Là où il y a pénurie de logements - c’est notamment le cas en Bretagne - certaines communes ont, au contraire, mis un coup d’accélérateur pour produire de nouveaux lotissements avant que les documents d’urbanisme régionaux, intercommunaux et locaux ne soient modifiés en vue de diviser par deux le rythme d’artificialisation. Un empressement à double tranchant car chaque collectivité sera redevable du foncier consommé depuis la promulgation de la loi, le 22 août 2021.
Certains grands projets échapperont à la loi ZAN
VRAI. Axe ferroviaire Lyon-Turin et autoroute A69 dans le Tarn, aménagement des grands ports maritimes de Marseille et Dunkerque, rénovation de l’aéroport de Nantes-Atlantique, sites aéronautiques, réacteurs nucléaires… L’exécutif a déjà exclu du dispositif 167 "projets d’envergure nationale et européenne" (dont 55 industriels), pour un total de 11.900 ha, qui échapperont au quota d’artificialisation accordé à chaque région. 257 autres projets "non encore aboutis" devraient venir compléter cette première liste. La loi prévoit, en outre, une clause de revoyure au Parlement, en 2026.
Les conséquences de la loi seront les mêmes dans toutes les régions
FAUX. L’effort de réduction sera identique mais le Grand Ouest, le bassin toulousain et le couloir rhodanien souffriront davantage de la raréfaction des terrains à bâtir à l’horizon 2030, selon le 7e baromètre Arthur Loyd. Le réseau spécialisé en immobilier d’entreprise a calculé que 3.155 ha manqueraient à Toulouse, 2.302 à Bordeaux, 1.882 à Nantes et 1.780 à Rennes pour répondre aux besoins, sur un arc atlantique attractif. Sans compter l’érosion côtière qui, d’ici à 2050, pourrait contraindre les habitants de 5.200 logements du littoral à se replier dans les terres, selon un récent rapport du Cerema (450.000 d’ici à la fin du siècle).
L’artificialisation des sols a abouti à la perte de près de 600 000 hectares de terres agricoles en dix ans
FAUX. Sur 596.000 ha de terres agricoles perdues entre 2006 et 2015, selon les statistiques ministérielles de l’Agreste, 39% sont devenus des sols naturels ou forestiers. Et, sur les 61 % qui ont été artificialisés, seuls 44% ont été bétonnés (parkings, routes, places). Les 56% restants ont été transformés en parcs et jardins publics, terrains de sport, chemins (…) et ont donc gardé leur perméabilité.
Plus haut, face aux nouveaux immeubles qui ont poussé comme champignons, un carrousel est déjà là, qui préfigure le futur parc paysager en cours de réalisation à Cœur de vie Mougins. Mais plus bas, à Tournamy, les commerçants ne se réjouissent pas du tout de ce "tournez manège". Car pour eux, l’aménagement pharaonique du nouveau quartier nuit à leurs enseignes, au lieu de les bonifier.
En particulier celles situées au 799 de l’avenue Tournamy, dont les vitrines subissent désormais l’ombre écrasante du nouveau Terminal de bus, implanté juste devant.
"C’est un va-et-vient permanent qui fait obstacle et assombrit nos magasins. Avant, à cet endroit, la clientèle pouvait s’arrêter sur quelques arrêts minute. Maintenant, on n’est plus du tout visibles de l’extérieur, s’insurge au nom de tous ses confrères Françoise Valingo, dont la belle boutique Colombine mérite pourtant d’être mise en lumière. En plus, tous ces bus, qui stationnent et se relaient en permanence, ça crée aussi des bouchons de circulation dans le secteur, et ça change complètement l’atmosphère de notre quartier: on dirait une gare routière!"
"Pourquoi un tel Terminus ici?"
En cette conjecture déjà difficile, pas le meilleur climat pour faire des (chiffres d’) affaires. Pour eux, l’arrivée du bus à haut niveau de service ne leur rend pas du tout service! "On nous avait dit qu’il y en aurait un de temps en temps, mais en réalité, c’est constant, un bus remplace l’autre pour desservir Cannes, Valbonne, Mougins, La Roquette...sans compter les bus scolaires", pointe le coiffeur Dessange, en compagnie de la boulangère et du gérant de La fleur de vigne.
"On ne comprend pas pourquoi le terminus a été créé ici, à Tournamy, alors que la voie est plus large là-haut, dans le nouveau Cœur de vie."
Voilà, le mot est lâché. Parce qu’au-delà des bus, ceux-là ont l’impression de faire les frais du nouveau quartier. Et d’être devenus "les parents pauvres" de la municipalité.
Quand l’un bénéficie d’un éclairage "digne de Las Vegas" à la nuit tombée, et d’un futur parc paysager, eux se plaignent aussi d’être rejetés dans l’obscurité, sans un peu plus de « vert « pour mieux respirer.
"On a réussi à faire venir le maire et son staff sur place pour exposer nos difficultés, mais on a eu plutôt l’impression d’être pris de haut qu’écoutés, grognent encore les commerçants de Tournamy. Nous, on a pourtant voté et financé notre ravalement de façade, et on a subi sans broncher les travaux de Cœur de vie Mougins, et aujourd’hui, on a le sentiment d’être lésés!"
Et d’avancer une ultime explication: "En réalité, le maire aurait sans doute voulu qu’on s’installe tous là-haut pour faire fonctionner son nouveau quartier, qui peine à trouver preneur. Mais nous ici, on aime nos magasins de qualité, et notre clientèle n’a pas du tout envie d’y monter! Rien que pour ça, on ne lâchera pas!"
À Cœur de vie Mougins, démarrage poussif et anomalies
Le nouveau Cœur de vie à Mougins ne présente pas encore le décor rêvé imaginé par le promoteur et la municipalité. Côté commerces, plusieurs cellules à louer sont encore vides de tout occupant. Et si un panneau d’Altarea couvre une façade pour annoncer « Ici, quelque chose se prépare… », la Ville rappelle son opposition à toute implantation d’Action (grande droguerie low-cost), « une enseigne qui ne correspond pas à l’image que l’on souhaite donner à ce quartier. », malgré la rumeur qui évoque son installation prochaine.
Parmi ceux qui sont déjà implantés, beaucoup reconnaissent un « démarrage poussif », et c’est un euphémisme...
« On avait prévu plus d’employés pour débuter, mais vu la fréquentation, je suis toute seule, indique par exemple la vendeuse d’Optic 2000. Les gens n’ont sans doute pas intégré qu’il y a un nouveau quartier, et de notre côté, on a l’impression que c’est encore en chantier ! »
« C’est vrai que c’est mou et lent, mais c’est un nouveau centre et la conjoncture est difficile, confesse aussi Véronique Amey (Les pipelettes). Moi, je suis en colère contre Altarea qui nous a vendu cher du rêve, nous a imposé des tas de contraintes, alors que la galerie n’est pas complètement occupée et qu’il y a plein de problèmes de finitions ! Moi, je n’ai aucun souci avec l’exigence, mais à condition que chacun sache l’être avec soi-même... »
Intempéries révélatrices...
Tous espèrent que l’ouverture annoncée du cinéma boostera la fréquentation. Et la Ville rappelle que « pour tout nouveau projet, il faut laisser du temps au temps. »
Mais pire que les finitions, les récentes intempéries ont révélé des anomalies et problèmes d’infiltration. Inondé, le parking en sous-sol reste d’ailleurs plongé dans le noir complet, au mépris de la sécurité. Sur les réseaux sociaux, la grogne des résidents est croissante contre ce nouveau quartier aux allures de trompe-l’œil. Sauve qui peut ? « On est conscients de tous ces problèmes, qui ne sont pas négligeables et qu’on partage avec les habitants, soupire Fanny Catroux, directrice de cabinet du maire. La Ville se bat actuellement auprès du promoteur pour que tout s’arrange au plus vite… »
La Ville répond
Sollicitée par nos soins, la municipalité se défend de privilégier le nouveau Cœur de vie au détriment de Tournamy.
« La Ville a fait du commerce son cheval de bataille, et on a accompagné de près tous nos commerçants durant le Covid, indique Fanny Catroux, directrice de cabinet du Maire Richard Galy. On comprend la problématique du Terminus des bus, mais l’arrivée du BHNS et ses lignes complémentaires sont une petite révolution dans les transports, qui va aussi amener du flux et une nouvelle clientèle. »
Stationnement dédié
Premier adjoint au maire et conseiller communautaire, Christophe Ulivieri ajoute que « l’agglo travaille sur une solution alternative, avec un autre terminus de bus de l’autre côté en contrebas qui permettra de soulager celui-là de quelques lignes. »
Et l’élu d’affirmer que trois ou quatre jardinières fleuries seront installées d’ici quelques mois. « On réfléchit aussi à installer des services administratifs de proximité (passeport, inscription cantine, guichet unique) dans la galerie Tournamy, afin d’y drainer encore de la clientèle, tout comme le parc paysager amènera du monde pour la totalité du quartier. » Le stationnement va également être repensé afin d’accorder « des poches dédiées aux commerçants, via un badge annuel à moins de 50 euros », afin qu’ils n’aient plus à courir après leur disque bleu et les quatre heures gratuites autorisées.
"Si on ne donne pas sa place à la rivière, elle la prend." Avec le changement climatique, c’est une petite phrase qui se fait plus réelle. Confronté à des inondations destructrices, notre territoire garde en mémoire les années meurtrières, 2010, 2015, 2020. Dracénie, littoral azuréen, vallées de la Vésubie, Roya…
Dans nos villes et villages, quelle place laisse-t-on à nos fleuves et rivières?
"Il y a deux ans, nous avions ici du béton, un chenal. Même le fond de l’eau, le lit de la Cagne, était bétonné." Visite de terrain avec Alexandra Maccario, chargée de mission "aménagement" à la mairie de Cagnes-sur-Mer.
"Permettre à la nature de se remettre en place"
"On a démoli le béton, couché les berges, en s’inspirant d’une rivière naturelle. C’est un élargissement de l’espace laissé à la Cagne, sur 60mètres." Depuis la fin de l’année 2022, le paysage a changé. Du tout au tout.
Ce petit bout de la Cagne, 200mètres de long, a la particularité d’être situé en plein centre-ville, coincé entre les axes routiers, dont un pont autoroutier.
Le projet tire profit de la proximité du parc du Canebier, un foncier encore disponible au pied des immeubles. Mais le lieu a vocation à être plus qu’un champ d’expansion en cas de crue. Il est un maillon dans le schéma directeur de la Cagne, projet de reconquête d’un corridor écologique d’ici à 2040.
"Le principe est de laisser la nature se remettre en place et retrouver un fonctionnement naturel, progressivement", développe Alexandra Maccario. C’est le point crucial aux yeux de l’Agence régionale de l’eau, attentive à la "restauration des milieux qui eux, vont répondre à la problématique des inondations, en partie en tout cas", analyse Sophie Lasnier, cheffe du service Alpes-Maritimes et Var. "Le projet doit être replacé dans une démarche plus large autour de la rivière, depuis les gorges jusqu’à la mer. C’est un fonctionnement à l’échelle du bassin-versant."
Celui-ci est partagé en deux grands secteurs. Le plus en amont est tourné vers le retour d’une agriculture de proximité, avec l’acquisition de terres agricoles. Celui en aval est une plaine hyper-urbanisée, "une rivière canalisée avec des rives en béton". Voilà pourquoi "le bon terme pour en parler est celui de décorseter une rivière", explicite Sophie Lasnier, tout en rappelant qu’il s’agit d’une "première étape, l’important étant d’aller au bout de la démarche. La plus-value sera de redonner le maximum d’espace à la rivière, pour que se réenclenchent les mécanismes naturels". De la source à l’embouchure. Car "chaque goutte tombée en haut finit en bas".
Changement de vision
Évidemment, la Cagne reste marquée par l’urbanisation, mais ce projet est le signe d’un renversement de la façon de penser. On est passé d’une doctrine pétrie de digues et de béton, dont l’ambition était de chasser l’eau le plus vite possible vers la mer, à l’idée opposée de "ralentir le débit, d’abaisser les hauteurs d’eau, de laisser le temps à l’eau de s’infiltrer dans le sous-sol". "Conserver le maximum d’eau dans les sols, comme dans une éponge, cela permet d’anticiper les périodes où on en manque", analyse Alexandra Maccario.
Les perspectives sont en train de changer. "Avant, quand on parlait d’espaces verts, on pensait petites fleurs. Désormais, on se met à comprendre qu’on n’est pas les spectateurs d’un paysage, mais qu’on fait partie d’un écosystème."
Lors des réunions publiques ou des visites de chantier, elle a été frappée par la richesse des questions des citoyens. "La tempête Alex a été un profond déclic chez tout le monde. On se dit qu’il faut faire autrement." Ici, à Cagnes-sur-Mer, le maire avait déjà engagé la transformation de la rivière, dont la plaine alluviale est aussi une source d’eau potable.
Chez la SPL Côte d’Azur Aménagement, qui dépend de la Métropole niçoise, le directeur opérationnel Patrick Roels considère "ce chantier comme un bijou. Cela fait partie des projets référence". Avec la surprise de voir, déjà, se poser un héron. "Alors le passage du héron, ça, on n’y croyait pas!"
Le dossier concernant la construction de la bretelle d’accès à l’A8 censée être située au rond-point des Tourrades, à cheval entre Cannes-La Bocca et Mandelieu-la-Napoule, a pris la poussière mais n’est pas abandonné pour autant. Une passerelle dont les circonvolutions rappellent non sans ironie le serpent de mer que représente aujourd’hui la réalisation de cet équipement urbain.
Le montant total de l’opération doit être partagé entre Vinci Autoroutes (Escota étant l’une de ses sociétés) qui devait financer 25% du projet, le Conseil départemental participait à hauteur de 54% et la Ville de Cannes à environ 21%. Une évolution réglementaire des normes parasismiques a fait grimper la facture. De 9,1 millions en 2016, la note s’élève aujourd’hui à 18 millions. Une envolée qui avait entraîné une passe d’armes entre David Lisnard, maire de Cannes, et le groupe Vinci en début d’année 2019. L’édile en avait même referré à Édouard Philippe, Premier ministre à l’époque.
Convention avortée
"On a appris, en début d’année, que la convention lancée par la Région a été abandonnée, se désole-t-on du côté de la Ville de Cannes. Une ou deux collectivités n’ont pas délibéré sur la question ce qui a fait capoter l’ensemble. Les discussions n’ont pas abouti à ce jour."
Pour autant, la cité des Festivals a incité Escota à continuer toutes les études le temps que les moyens financiers soient trouvés. "L’appel d’offres est à validation des services de l’État. Le plan de table doit être bouclé pour que l’appel d’offres puisse être lancé. Escota a fait les acquisitions foncières qui étaient nécessaires, il y a eu des réunions cet été pour voir de façon finie l’impact au niveau du carrefour routier avec la zone commerciale des Tourrades et les remontées de file jusqu’au rond-point de l’Aviation. On a bon espoir que ça aboutisse mais on est dans l’attente", précise la Ville. Advienne que pourra.
Un territoire qui s’adapte au changement climatique garde ses terres agricoles et les cultive. Or, partout dans nos départements, elles ne cessent d’être grignotées.
Depuis 1950 dans le Var, l’espace agricole est passé de 35% à 12%. La friche s’est installée, là où le paysan est parti. Le béton s’est coulé le long d’axes routiers.
"Le constat national se vérifie ici, soupire Fanny Alibert, chef du service foncier à la Chambre d’agriculture varoise. Cette forte baisse a deux causes : le recul de l’agriculture et l’exode rural d’une part ; l’urbanisation et l’étalement urbain d’autre part." "Depuis 2005, on dit qu’il ne faut plus perdre de terre agricole", plaide la sous-directrice de la chambre d’agriculture varoise. Un vœu pieux.
"Dans les Alpes-Maritimes, la perte a été plus importante, et cela pose des soucis en termes de repositionnement des filières." Positionner une filière, c’est permettre à l’agriculture d’atteindre une surface suffisante pour être viable.
"L’intérêt de la COP"
Maraîchage, élevage, viticulture "ont besoin d’espace". "On a de la chance d’avoir des filières qui fonctionnent sur le plan économique." Mais les nouveaux exploitants se heurtent à un mur. "La flambée des prix est en lien avec l’urbanisation, il est de plus en plus compliqué de trouver des terres, constate Sylvain Apostolo, à la tête de la Confédération paysanne du Var. Un peu partout, les pouvoirs publics n’ont pas préservé les terres agricoles. Aujourd’hui encore, des zones commerciales sortent sur des terres agricoles."
Pourtant, le contexte évolue. "On constate une prise de conscience sur le foncier agricole, estime Fanny Alibert. C’est aussi l’intérêt d’événements comme la COP27. Reste ensuite à mettre en place des actions concrètes." Et, "des élus à convaincre", car ce sont eux qui ont la main sur les documents d’urbanisme.
"Au-dessus de la moyenne nationale"
"Le problème est dans la différence entre les discours et les actes. Pour beaucoup, l’enjeu économique sera prépondérant", analyse la Confédération paysanne, selon qui la prise de conscience avance "moyennement".
Pourtant, "on ne va pas manger du béton !", s’exclame Sylvain Apostolo, qui se souvient d’une bataille emblématique autour d’un projet d’extension de centre commercial sur 16 hectares à Rocbaron, dans le centre Var. Promesse de plusieurs centaines d’emplois.
"Ils ont essayé d’obtenir l’utilité publique. On avait des terres plates, arables, un vrai scandale", narre Sylvain Apostolo. Finalement, c’est la justice administrative qui a sonné le glas du projet, en 2021. Sur le point essentiel de l’expansion des crues et du risque d’inondations. La terre agricole absorbe l’eau de pluie, le béton la fait ruisseler.
Voilà une autre donnée, dans un département vulnérable au risque inondations, où le pourcentage de surfaces artificialisées "est au-dessus de la moyenne nationale".
C’est ce qu’a calculé l’association France nature environnement (FNE), dans une étude récente sur la "Sobriété foncière". Aujourd’hui encore, "un tiers des artificialisations nouvelles se fait sur les terres agricoles, note Paul Naglik, chargé de mission aménagement à FNE Paca. Cela a un impact sur la production alimentaire et la biodiversité".
1,5 million d'euros l’hectare
En soi, le classement en terre agricole n’a rien d’immuable. "Nous sommes à un tournant, où il faut essayer de se limiter et de construire sur ce qu’on a déjà consommé, plaide Paul Naglik. Cela veut dire changer de paradigme. On ne peut pas toujours être dans l’extension."
Près de Toulon, le domaine des Olivades a lutté pendant 25 ans contre le tracé d’un tramway, devenu "bus en site propre". "Les terres étaient coupées en tranches par le passage des voies", résume Daniel Vuillon. Grâce à une intense mobilisation citoyenne, le domaine a fini par obtenir, en septembre, la garantie de ne plus être exproprié. Mais ce ne fut pas le seul combat pour ces 6,5 hectares de champs, qui étaient passés constructibles en 1987. Pas un choix, mais la conséquence de l’arrivée d’un hypermarché et d’un échangeur autoroutier.
"Les décideurs nous ont considérés comme des arriérés", rigole encore Daniel Vuillon, installé en Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne). Les sillons de légumes auraient pu rapporter "1,5 million d’euros l’hectare pour un futur centre commercial". La famille a tenu bon. La terre continue d’être nourricière, depuis 1804. Bientôt classée zone agricole protégée.