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Absentes sur nos routes, les keicars représentent la porte d’entrée idéale en matière d’électrification. Bourrées d’arguments, elles auraient toute leur place sur nos routes avec une motorisation électrique !
Au milieu de la quantité inépuisable de curiosités que renferme le Japon, on trouve de bien drôles de voitures. Petites, souvent plus hautes que larges, ces mini-citadines qui font partie des cartes postales locales répondent à une catégorie bien spécifique : celle des kei-cars, ou keijidosha pour les intimes. Si leur histoire remonte à près de 75 ans, elles constituent la porte d’entrée idéale pour les constructeurs nippons dans le monde des électriques. Sur le papier, elles ont tout des électriques parfaites pour l’immense majorité des conducteurs. Surfant sur le succès au Japon, on se prend souvent à fantasmer leur présence chez nous. Mais tout n’est pas si simple dans la réalité.
C’est quoi une kei-car ?
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Japon va mal. L’heure est à la reconstruction au propre comme au figuré. Toutefois, l’industrie automobile est au point mort et les Japonais n’ont pas les ressources nécessaires pour s’offrir une voiture. Afin de relancer l’économie du pays, le gouvernement et les fabricants ont alors décidé de créer la catégorie des keijidosha, littéralement les “véhicules légers”. Au départ, ce sont essentiellement des utilitaires qui sont entrés dans la catégorie afin de permettre aux entreprises de se développer à moindre coût. Seule exigence d’alors : disposer d’un moteur de 150 cm3 maximum. Avec un prix maîtrisé, ces voitures ont rapidement connus le succès jusqu’au début des années 70.
Alors que les ventes commençaient à s’essouffler, le gouvernement japonais, conscient des problématiques écologiques liées à l’expansion de la nation, a pris de nouvelles mesures en matière d’immatriculation. Dès lors, les kei-cars, reconnaissables à leurs plaques jaunes (voitures particulières) ou noires (voitures pros) pouvaient bénéficier de divers avantages fiscaux : taxe à l’achat moins importante, taxe annuelle réduite d’un peu plus de la moitié, péages plus abordables et la possibilité de s’affranchir d’un titre de propriété d’une place de parking lors de la signature dans certains cas. La stratégie est payante puisque les ventes repartent de plus belle.
Les limites actuelles de la catégorie ont été adoptées plus tard. A la fin des années 80, le gouvernement a décidé de considérer la puissance de la Suzuki Alto Works comme le maximum légal, soit 64 ch (47 kW). Il y a quelques exceptions, à l’image de la Caterham Seven 160 avec son K6A Suzuki de 80 ch, mais elles sont très rares. Dans tous les cas, le moteur thermique ne doit pas dépasser les 660 cm3, et ce, quelle que soit la configuration technique. Du côté des voitures électriques, seule la puissance de sortie en pic retenue ne doit pas dépasser les 47 kW.
Surtout, ce qui fait tout le sel des kei-cars, ce sont les dimensions maximales à respecter : 3,40 m de long, 1,48 m de large et 2,0 m de haut au maximum ! Pour mettre en perspective, pas même la Volkswagen e-Up! ne pourrait pas prétendre à la catégorie, c’est dire. Etonnamment, le gouvernement n’a imposé aucune limite de poids pour les keijidosha. Mais leur encombrement, l’aménagement intérieur et les faibles possibilités mécaniques (petits moteurs thermiques, petites batteries, …) limitent naturellement la masse : une Suzuki Alto ne dépasse pas les 680 kg, alors qu’un Wagon R Smile, plus haut, ne dépasse pas les 920 kg en version Full Time 4WD Hybrid.
Pourquoi est-ce une bonne idée ?
En raison de leur encombrement réduit, les fabricants ont imaginé toutes les solutions possibles pour bénéficier d’un maximum d’espace à bord sans dépasser les limites. Un savoir-faire bien japonais, où les différentes contraintes géographiques et démographiques du pays ont poussé les habitants à optimiser l’espace disponible. Voilà qui explique donc le profil de boîte à chaussure de la majorité des modèles proposés sur le marché. Plus hautes (en général 1,80 m) que larges, et dotées de portes arrières coulissantes, ces voitures offrent une habitabilité intérieure sans commune mesure au regard du gabarit ! Selon certains, ce profil a été retenu pour permettre à des enfants de tenir debout à l’arrière pour se changer après l’école ou avant une activité sportive.
Bien sûr, elles ne sont pas toutes configurées de la même manière et l’on distingue deux autres types de kei. En entrée de gamme, elles affichent souvent un profil assez commun, proche de nos citadines du segment A. C’est le cas par exemple des Suzuki Lapin et Alto, de la Daihatsu Mira Tocot ou de la Toyota Pixis. Entre cette dernière et la sous-catégorie reine se trouvent des voitures assez atypiques, avec une hauteur à peine surélevée (autour de 1,60/1,70 m de haut), avec des portes battantes. C’est là, au milieu des Honda N-WGN, Nissan DayZ, ou Daihatsu Taft, que l’on retrouve les rares kei-cars électriques à l’image des Nissan Sakura et Mitsubishi eK X EV. Et on se souviendra aussi de la « triplette » iOn/C-Zero-i-MiEV d’il y a quelques années.
Les voitures électriques parfaites ?
A vrai dire, les kei-cars reprennent toutes les caractéristiques des citadines que l’on connaît chez nous. Les roues aux quatre coins libèrent en général un empattement de 2,50 m, proche de ce que l’on retrouve sur le segment supérieur (2,54 m pour une Peugeot e-208). Dès lors, il peut être possible d’y installer une batterie d’une capacité très raisonnable. La Nissan Sakura dispose d’une unité de 20 kWh, alors que la Kia Ray EV « cube » 35,2 kWh. L’autonomie homologuée tourne alors autour des 200 km (180 km pour la Nissan et 210 km pour la Kia en fonction du protocole). On retrouve donc la même fiche technique, ou presque, avec une citadine su segment A.
Mais la catégorie permet donc de pousser encore plus loin le design et l’ingénierie, donnant ainsi naissance à des voitures peu encombrantes mais aussi habitable qu’un monospace bien de chez nous. Bien sûr, ce ne sont pas avec elles que les familles partiront en vacances, mais pour le quotidien, on a du mal à imaginer voitures plus adéquates. Et bien sûr, les principes de réduction emmènent aux réflexions habituelles : moins de tôle, moins de matériaux stratégiques, moins d’encombrement dans les villes, … Moins de tout, en fait, au plus grand bénéfice de l’environnement, même si, il faut l’avouer, une voiture reste une voiture, kei-cars ou non : leur dimension ne réduira pas les embouteillages et n’augmentera pas le nombre de places de parking disponibles. En tout cas, grâce à leur configuration technique et d’autres aspects, elles ont tout l’air des voitures électriques parfaites ! Si on y ajoute à cela les aides fiscales dont elles profitent au Japon, elles pourraient donc être redoutables chez nous
Pourquoi pas de kei-cars chez nous ?
Mais on se rend compte que, lorsque l’on soulève toutes les pierres, ces voitures n’auront pas de grandes chances de briller en dehors de leur marché domestique, où elles ont été pensées par et pour les Japonais. D’une part, les adaptations techniques pour mettre ces voitures aux normes (même si l’électrification simplifierait les choses) ou pour éviter un échec cuisant sur les rails de l’EuroNCAP, feront considérablement augmenter le prix final. Soit tout le contraire du cahier des charges initial qui mise sur l’accessibilité. Au niveau commercial, si les arguments sur le papier sont sans appel, l’accueil du public est très incertain. Comme dans les grandes villes au Japon, où les kei-cars ne sont paradoxalement pas majoritaires (c’est le cas dans les villes plus petites ou à la campagne), les acheteurs européens pourraient préférer des modèles plus gros, plus valorisants et/ou plus polyvalents. C’est ce qui a causé le déclin des segments A chez nous, même s’il faut reconnaître qu’elles n’ont pas les aspects pratiques des kei-cars pour les aider. Enfin, c’est beaucoup plus officieux, certains observateurs estiment que les fabricants japonais conservent précieusement leur spécialité, qui atteint 40 % de part de marché sur l’archipel. Des résultats qui pousseraient même les constructeurs étrangers à faire pression sur le gouvernement pour lever la règlementation des kei-cars en avançant une concurrence déloyale. En vain.
En revanche, il serait tout à fait possible, avec un zeste de volonté, d’importer le cadre légal pour donner naissance à ce genre de véhicules pratiques et parfaitement cohérents avec la fée électrique, le tout sans oublier d’y apporter de nombreuses mesures incitatives. Voilà ce qui manque aux petites voitures chez nous, logées à la même enseigne que des voitures plus grosses, encombrantes, pas forcément plus pratiques mais assurément moins sobres. Et on pense aussi au quadricycles lourds, injustement oubliées par les conducteurs car oubliées par l’administration : ces véhicules, limités à 400 kg sans la batterie, à 3,70 m de long et 20 ch, ne peuvent bénéficier que d’un bonus de 900 €, mais aussi d’autres contraintes comme l’interdiction de fouler les voies rapides.
Mais ces dernières pourraient bien devenir les prochaines kei-cars européennes, comme l’a souligné en filigrane Oliver Ouboter, confondateur de Microlino, au micro de nos confrères de Challenges. A ce titre, Microlino et cinq autres marques ont décidé de se réunir autour de la Coalition des Microvoitures. Le but : faire bouger la règlementation afin que les quadricycles lourds puissent bénéficier des mêmes avantages fiscaux et règlementaires que les voitures électriques conventionnelles, à la hauteur de leur impact écologique plus favorable qu’avec ces dernières. Encore faut-il que le prix de vente suive. Mais certains fabricants de quadricycles envisagent un prix d’appel autour des 15 000 €. Soit l’équivalent, au taux de change actuel, de la Nissan Sakura (15 830 €). La kei-cars européenne pourrait donc exister, mais elle n’aura pas la même forme que la célèbre keijidosha japonaise qui, visiblement, restera pour longtemps une curiosité bien locale.