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Le lien entre gaz à effet de serre et réchauffement climatique, c’est lui. Il y a plus de 35 ans, avec le glaciologue Claude Lorius, le paléoclimatologue Jean Jouzel révolutionnait la science du climat.
Depuis, l’ex-vice-président du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec) n’a cessé d’alerter. Avant d’embarquer avec la délégation française pour la Cop 28, le pionnier livre son analyse, plutôt pessimiste, et incite à l’action, à tous les échelons.
Quel intérêt d’aller à cette Cop au pays du pétrole?
Le choix du pays hôte est un mécanisme transparent fixé par les Nations unies: il doit y avoir une rotation chaque année. Celui du président de la COP, en revanche, a été fait par les Émirats arabes unis qui ont opté pour le ministre de l’énergie, impliqué dans le pétrole…
Cela peut paraître regrettable, et je respecte ceux qui font le choix du boycott, mais je pense qu’il est illusoire de discuter de la fin du pétrole, du gaz, du charbon sans les producteurs fossiles.
Quel engagement faudrait-il obtenir pour ne pas hypothéquer nos futurs?
Il faudrait parler d’une date de fin du fossile, dire explicitement que la neutralité carbone ne peut se faire sans. Mais c’est un rêve... Au mieux, la fin du charbon sera évoquée à Dubaï. J’attends peu de cette COP.
Pourquoi êtes-vous pessimiste?
Collectivement, on est accroché aux combustibles fossiles. Ils représentent 80% de la production d’énergie mondiale, c’est un vrai problème. Pour arriver à la neutralité carbone en 2050, même en 2070, il faut un changement profond de nos sociétés et une vision à long terme.
__Or, il y a une sorte d’égoïsme collectif. Quand les scientifiques disent que les émissions produites d’ici à 2030 décideront du climat en 2050, il y a la tentation, notamment dans certaines entreprises, de se dire: ce n’est pas mon problème.
On n’a pas non plus de leader politique capable de donner du poids au long terme. Mais n’accusons pas que les gouvernements. La lutte contre le réchauffement se joue aussi dans les territoires, les villes, dans nos modes de vie...__
Quels sont les pièges dans lesquels cette Cop doit éviter de tomber?
Les pays pétroliers ne vont mettre en avant que des solutions technologiques, comme le piégeage du carbone. Là encore, c’est illusoire.
On émet 60 milliards de tonnes d’équivalent CO2. Au mieux, cette option en capterait 1 milliard. Alors qu’avec un développement ambitieux des énergies renouvelables, on en éviterait 10 milliards.
"La géo-ingénierie solaire est une épée de Damoclès"
Quant à la géo-ingénierie solaire, qui consiste à mettre des aérosols dans la haute atmosphère pour en bloquer les rayons, c’est une épée de Damoclès.
Si en 2050 on est obligé d’arrêter, les jeunes d’aujourd’hui prendront alors de plein fouet la hausse des températures. Par ailleurs, cette méthode ne répond pas à l’acidification des océans, à l’élévation du niveau de la mer…
En plus de 20 ans de participation à la Cop, voyez-vous un peu de positif?
Il y a 20 ans, les négociateurs avaient davantage de doutes, d’interrogations sur le réchauffement, ses impacts potentiels sur le futur... C’est nettement moins le cas aujourd’hui. Le diagnostic du Giec est clair, ils sont au courant.
Vous parliez de l’importance de l’échelon local. En Côte d’Azur, quelles mesures vous semblent essentielles?
Le tourisme doit être repensé: allonger la saison, encourager les gens à venir en train... Cela veut dire investir dans le ferroviaire.
"Il ne faut pas rêver, on n’aura pas une aviation décarbonée d’ici 2050"
L’encouragement débridé à l’utilisation de l’avion pose question. Soyons clairs: je suis pour la taxation du kérosène. Car il ne faut pas rêver, on n’aura pas une aviation décarbonée d’ici 2050.
L’énergie solaire doit aussi être plus agressive ici. Beaucoup de retard a été pris alors qu’il y a un potentiel énorme!
En France, quels exemples d’actions efficaces à engager rapidement?
Je regrette que des mesures simples proposées par la Convention citoyenne pour le climat n’aient pas été suivies.
"Nos émissions sont aussi très liées à notre utilisation de plus en plus forte de SUV"
Limiter la vitesse à 110 km/h sur autoroute a un vrai impact (et diminue aussi la consommation de carburants). Nos émissions sont également très liées à notre utilisation de plus en plus forte de SUV.
*Pour aller plus loin: Jean Jouzel - Climat: l’inlassable pionnier - Entretiens, éd. Ouest France.